Enquête sur l'origine du mot « Balaou » et ses emplois
Balaau, balaou : le poisson
Balaau : mot du langage des Caraïbes, c’est-à-dire des aborigènes vivant aux Antilles avant la colonisation, désignant un petit poisson très apprécié, ressemblant quelque peu à l’orphie. Selon le Dictionnaire classique d’histoire naturelle [1], édition de 1822, balaau devait se prononcer balao et non balaou. Mais l’usage confirmera néanmoins la prononciation balaou, qui s’est également imposée très tôt dans l’orthographe usuelle :
« Il y a… un autre petit poisson, que l’on nomme dans la Martinique balaou, qui est long comme une sardine : il a à la mâchoire inférieure un bec de cartilage assez fort, menu, et pointu comme une aiguille, et long comme le doigt… ». Père Dutertre, Histoire générale des Antilles [2], 1667.
« J’ai parlé du balaou sans le faire connaître… Ce poisson ressemble assez à la sardine, excepté qu’il a le dos plus carré. Sa tête est comme celle de l’orphie, c’est-à-dire qu’il a un avant-bec de deux à trois pouces de long ». Père Labat, Nouveau voyage aux isles de l’Amérique [3], 1724.
Certains auteurs ont écrit balahou, avec un « h » :
« … balahou… espèce de hareng dont la tête se termine par un bec long et mince, semblable à une aiguille à tricoter… ». J-Baptiste de Chanvalon, Voyage à la Martinique [4], 1763.
Balaou : nom donné par les marins bretons, pêchant le thon blanc dans l’Atlantique, à un genre d’orphie, c’est-à-dire d’« aiguillette », ressemblant quelque peu au véritable balaou, dont la présence, signalée par une agitation d’oiseaux de mer, à la verticale de l’eau, indiquait la présence éventuelle d’un banc de thons en mal de nourriture.
« Quelque temps après, un matelot se précipite vers l’avant en criant : « des balaous, des balaous au vent » ! (il s’agit d’un petit poisson (Scomberesox saurus) qui est une nourriture recherchée par le thon) ; un autre homme crie : « Thons sous le vent, jouant sur l’eau » ! Le patron observe la mer de ce côté, en effet, on voit de fort remous à la surface de l’eau, par instants aussi plusieurs petits poissons qui sautent en l’air. Evidemment il se passe là une lutte sauvage. Rapidement le patron met le cap sur les remous ». Albert Krebs, Le thon [5], 1936.
Balaeau, Balaou : les navires
Balaeau : nom donné à une pirogue servant à la chasse à la baleine, dont la forme, toute en longueur, rappelait celle du poisson précédemment désigné.
« La biscayenne de l’Espérance fut perdue. Pour la remplacer, on acheta d’un vaisseau américain un balaeau, espèce d’embarcation légère destinée à la pêche de la baleine ». Jacques-Julien Houtou de La Billardière, Relation du voyage à la recherche de La Pérouse [6],1799.
Balaou : nom donné à la Martinique, une goélette dont la longueur de mâture était impressionnante par rapport à la coque. Et qui, dans sa disproportion apparente, rappelait également le poisson appelé balaau, qui est tout en longueur.
« BALAOU, s. m. Petite goélette en usage en Amérique , commune dans les Antilles. — On donne aussi le nom de balaou à un petit poisson long qui ressemble assez aux aiguillettes. » Jean-Baptiste Philibert Willaumez, Dictionnaire de Marine, 1820 [7].
*Nous n'avons malheureusement pas trouvé de gravure ancienne du balaou pour illustrer cet article, si vous avez connaissance d'une référence en libre accès, n'hésitez pas à nous la communiquer manioc.org[at]gmail.com
Documents cités
- [1] Dictionnaire classique d'histoire naturelle. Tome 2, AS-CAC, par Messieurs Audouin,... Ad. Brongniart... et Bory de saint-Vincent, Paris, 1822-1831, p. 140.
- [2] Histoire générale des Antilles habitées par les François. Divisée en deux tomes. Et enrichie de cartes & de figures. Tome II. Contenant tout ce qu'il s'est passé dans l'establissement des colonies françoises, par le R. P. Du Tertre, Paris, 1667, p. 219.
- [3] Nouveau voyage aux isles de l’Amérique, par le Père Labat, La Haye, 1924. Tome 1 ; Tome 2. Une édition de 1742 en huit tomes (publiée Chez Guillaume Cavelier père) ainsi qu'une édition publiée de 1931 en deux tomes (publiée aux éditions Duchartre) sont disponibles sur Manioc.
- [4] Voyage à la Martinique, contenant diverses observations sur la physique, l'histoire naturelle, l'agriculture, les mœurs et les usages de cette isle, faites en 1751 & dans les années suivantes. Lu à l'Académie royale des sciences de Paris en 1761, par Jean-Baptiste Thibault de Chanvalon, Paris, 1763.
- [5] Le thon (Germon). Sa pêche et son Utilisation sur les côtes françaises de l'Atlantique, par Albert Krebs ; préface d’Auguste Dupouy, Société et éditions géographiques, maritimes et coloniales, 1936.
- [6] Relation du voyage à la recherche de La Pérouse, fait par ordre de l'Assemblée constituante pendant les années 1791, 1792 et pendant la 1re et la 2e année de la République françoise. Tome 1, Tome 2, par Jacques Julien Houtou La Billardière, Paris, G. H. J. Janse, 1799.
- [7] Dictionnaire de Marine, par Jean-Baptiste Philibert Willaumez, Paris, Bachelier, libraire pour la marine, 1820. Manioc, collection Archives départementales de Guadeloupe.
- [8] Recueil de petites marines..., par Jean-Jérôme Baugean, Douarnenez, le Chasse-Marée, 1987. Reprod. en fac-sim. de l'éd. de Paris, Ostervald, 1817.
Contribution, publication Manioc : Anne Pajard.