Flibustiers, corsaires, boucaniers, pirates, forbans de la Caraïbe : histoire et légendes des gens de mer dans les collections de Manioc
Qui sont-ils.elles ?
Source : Les frères de La Coste, Flibustiers et Corsaires (p. 41)
Parmi les « gens de mer » qui embarquèrent depuis les ports français (Dieppe, Saint-Malo, La Rochelle...) et européens vers les Antilles à partir de la fin du XVIe siècle, mais surtout aux XVIIe et XVIIIe siècles, certains fuient les persécutions religieuses (protestants, juifs), d'autres (criminels, vagabonds, orphelins) sont initialement « engagés » dans des conditions proches de l'esclavage, ou sont « expédiés » par les métropoles. Enfin, d'autres encore, d'origine souvent modeste, partent en quête d'aventure, de fortune ou pour le moins sont guidés par l'espoir d'un destin meilleur. Certains, embarqués volontairement ou faits prisonniers pour leurs compétences (médicales par exemple) ou leurs activités religieuses partagent la vie à bord.
Dès après les débuts de la traite transatlantique, on retrouvera également sur les équipages des « Marrons », Africains déportés en esclavage dans la Caraïbe qui ont fui les plantations ou ont pu survivre à des naufrages près des côtes. La présence sporadique d'Amérindiens apparaît dans les documents historiques.
Quelques très rares femmes marquent l'histoire de la piraterie dans la Caraïbe telles que Marie Read, Anne Bonnie ou encore Anne Dieu-le-veut et Jacquotte Delahaye dont les étonnants destins mériteraient d'être explorés... Certaines se sont fait passer pour des hommes, d'autres ont pu être admises sans travestissement.
Flibustiers, corsaire, boucaniers, forbans, pirates, quelles différences ?
Ces termes reflètent des distinctions importantes, mais des réalités qui rendent les frontières poreuses dans la Caraïbe ; d'une part les définitions et usages ont pu changer au cours du temps, d'autre part nombreux sont les gens de mer qui ont pratiqué plusieurs activités ou changé de statut au cours de leur vie.
Source : Les frères de La Coste, Flibustiers et Corsaires (p. 310)
Le terme « Flibustiers », spécifique à la Caraïbe, est longtemps employé de façon large pour désigner tous les gens de mer jusqu'à la fin du XVIIe siècle. L'activité maritime se déploie dans les premiers temps autour de l'activité commerciale sur laquelle l'Etat s'appuie. La marine royale ne commence à structurer sa propre flotte qu'au XVIIe siècle et cette dernière ne suffit généralement pas à former des convois dans le contexte des affrontements européens qui se livrent dans la Caraïbe. Ceux qui disposent d'une lettre de marque et sont autorisés à attaquer en temps de guerre sont appelés « Corsaire ». L'activité est réglementée, tant pour ce qui concerne le déroulement des combats que le statut des prisonniers, jusqu'au partage des prises dont une part est réservée au roi. Flibustier est parfois employé comme synonyme de corsaire probablement du fait des activités au statut multiple de certains marins. Les flibustiers français s'attaquaient généralement aux bateaux qui n'étaient pas de leur nation, particulièrement les Espagnols. Ils agissaient parfois pour leur compte, parfois comme corsaires. Qu'ils soient alors mandatés ou non, leurs attaques ont longtemps servi les intérêts de l'Etat affaiblissant les flottes ennemies.
Portrait de François l'Olonnais
Source : Les aventuriers et les boucaniers d'Amérique
Selon Caroline Laurent[1] : « Les flibustiers se métamorphosent ainsi en véritables bras armés des puissances européennes (particulièrement britannique, espagnole et française) dans cette zone caribéenne qui est considérée comme terra nullius, “territoire sans maître”, jusqu’au XVIIIe siècle, temps de la mainmise effective des empires sur le bassin caribéen. »
Parmi les flibustiers, certains abandonnèrent la mer définitivement -rapidement ou après une longue carrière- pour exploiter la terre « les habitants » (d'où provient le terme « habitation »). On nomma « Boucaniers » ceux qui profitant du fait que les Espagnols avaient fait venir du gibier sur ces terres, vivaient ensemble de la chasse et de la fabrication de produits à partir du cuir. Boucaniers viendrait du terme amérindien « boucan » qui désignerait une technique de cuisson fumée*. Certains furent tour à tour au gré de leurs destins, flibustiers et boucaniers avant de s'installer comme habitants. Ces trois catégories se côtoyaient et se retrouvaient dans des lieux considérés comme bases de la flibuste, à l'instar de l'île de la tortue à Saint Domingue, (aujourd'hui Haïti), repère devenu légendaire. Ce n'est qu'à la fin du XVIIe siècle que poindront les premières politiques pour faire cesser les activités non réglementées dont les acteurs seront perçus comme hors-la-loi, « forbans », « pirates ». Le commerce des esclaves devient également bien plus rentable que les autres opérations jusqu'alors menées par les flibustiers.
« Au XVIIIe l’Amirauté royale cherche à faire disparaître la flibuste. Le ministre de la Marine fit publier une ordonnance royale, datée du 5 septembre 1718, accordant amnistie pleine et entière aux « forbans » qui se rendraient en France pour vivre en honnêtes bourgeois. » (Besson, p. 28) [2]
D'autres initiatives furent prises pour les inciter à s'installer sur les terres des colonies de la Caraïbe tels que les envois massifs de femmes :
« Au fur et à mesure que les Antilles se peuplèrent d'habitants, les boucaniers et les flibustiers disparurent ; certains de leurs capitaines se firent ermites, abandonnant la Coutume de la Côte pour se faire chefs des différents quartiers de Saint-Domingue ; ce fut l’art du gouverneur Jean Baptiste Ducasse d’opérer ces transformations » (Besson, p. 22) [3]
« Pour transformer les intrépides conquérants de Saint-Domingue, narre M. de La Vaissière dans son ouvrage sur cette colonie perdue, le gouverneur Ogeron invoqua le secours d’un sexe puissant qui sait pourtant calmer l’humeur et augmenter le penchant pour la sociabilité. Ogeron et Ducasse firent, en effet, venir de France, d’humbles orphelines pour soumettre ces êtres orgueilleux accoutumés à la révolte et pour les changer en époux sensibles, en pères de famille vertueux. » (Besson, p. 22-23 ) [3]
Source : Les frères de La Coste, Flibustiers et Corsaires (p. 236)
Sélection de documents historiques sur l'histoire des flibustiers
Drapeau à tête de mort, surnoms de capitaines comme « Monbars l'exterminateur » et noms de bateaux tels le « Sans Pitié » ou le « Sans quartier » destinés à effrayer l'adversaire, organisation et règles spécifiques de type confrérie à l'instar des « Frères de la côte »... ; tout ceci n'est pas sorti de l'imaginaire des écrivain.es, auteur.es de BD, réalisateur.trices mais bel et bien des sources qui les ont inspirées.
Il existe peu de récits écrits par des témoins directs de la vie à bord. S'ils doivent être complétés par d'autres sources, ils n'en restent pas moins précieux et bien souvent passionnants. Le plus connu est sans conteste celui d'Alexandre-Olivier Exquemelin, parfois orthographié « Exquemeling », « Oexmelin » ou « Exmelin ». Son premier texte, Histoire d'avanturiers qui se sont signalez dans les Indes, publié pour la première fois en 1678 dans sa version néerlandaise, connaîtra un grand succès dès sa publication : traductions, multiples éditions et réédition (quelques éditions sont disponibles sur Manioc [4], [5]). Ce succès traversera les siècles ; l'ouvrage reste encore de nos jours fréquemment réédité. L'un des plus anciens récits (1620) racontant notamment la vie à bord puis à terre aux côté des Amérindiens en Martinique est le manuscrit connu sous le nom « L'anonyme de Carpentras » [6]. Le journal du flibustier Raveneau de Lussan, probablement rédigé à la fin du XVIIe siècle est également un témoignage précieux [7]. Il raconte en plus de 450 pages, sa jeunesse, son embarquement puis les pérégrinations de la vie des flibustiers dans la Caraïbe et l'Amérique, évoquant capitaines et autres personnages clés, narrant la vie en mer et à terre, avec notamment de nombreux passages sur les Amérindiens. Parmi les ouvrages anciens, Manioc dispose dans ses collections du témoignage du jésuite Jean-Baptiste Le Pers (vers 1715), qui résida à l'île de la Tortue, repaire de la flibuste [8].
Si vous souhaitez en connaître davantage sur les flibustiers et autres gens de mer célèbres, sur leurs pratiques, codes et règles, Manioc vous propose de lire l'ouvrage de Maurice Besson sur les frères de la côte [3]. C'est un ouvrage facile d'accès, qui se lit comme un roman tout en s'appuyant sur une documentation fournie. L'auteur y narre les coutumes de la flibuste et dresse la biographie des plus célèbres de ces hommes et femmes qui ont sillonné la Caraïbe pendant plusieurs siècles.
*Manioc enquêtera prochainement sur l'origine du terme « Boucan » car il semblerait que l'origine amérindienne du terme soit une erreur largement véhiculée, à suivre...
Documents cités
- [1] "Le Pirate, acteur interstitiel de la colonisation européenne dans les Caraïbes (XVIe-XVIIIe siècles)", Caroline Laurent, Diacronie, n°13, 2013.
- [2] Vieux papiers du temps des isles, Maurice Besson, Paris, Société d'éditions géographiques, maritimes et coloniales, 1925. Collection : Réseau des bibliothèques de la Ville de Pointe-à-Pitre.
- [3] Les frères de la Coste, flibustiers et corsaires, Maurice Besson, Paris, Editions Duchartres & Van Buggenhoudt, 1928. Collection : Fondation Clément.
- [4] The buccaneers and marooners of America : being an account of the famous adventures and daring deeds of certain notorious freebooters of the Spanish main, Alexandre-Olivier Exquemelin ; Auteurs secondaires : Howard Pyle, Charles Johnson, London, T. Fisher Unwin, 1891.Collection : Archives territoriales de Guyane.
- [5] Les aventuriers et les boucaniers d'Amérique, Alexandre-Olivier Exquemelin, Paris, Du Carrefour, 1930
- [6] Relation d'un voyage infortuné fait aux Indes Occidentales par le capitaine Fleury. Avec la description de quelques Isles quon y rencontre [manuscrit connu sous le nom L'Anonyme de Carpentras], 1620. Collection : Bibliothèque de Carpentras.
- [7] Journal du voyage fait à la mer de sud avec les flibustiers de l'Amérique, Jacques Raveneau de Lussan, Paris, chez Jacques Le Febvre, 1705. Collection : Communauté d'agglomération de La Rochelle. Médiathèque Michel-Crépeau.
- [8] La tragique histoire des flibustiers : histoire de Saint-Domingue et de l'île de la Tortue, repaires des flibustiers, écrite vers 1715, Jean-Baptiste Le Pers, Paris, G. Crès 19??. Collection : Collectivité territoriale de Martinique. Bibliothèque Schoelcher.
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