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Focus Manioc : l'immigration indienne dans les colonies françaises

Carolyn Pancaldi
6 mai 2016
Des populations originaires d'Inde sont arrivées dans la seconde moitié du XIXe siècle pour remplacer la main-d’œuvre perdue après l'abolition de l'esclavage de 1848. Cette immigration fut organisée par les pouvoirs publics entre 1854 et 1885. Manioc vous propose de découvrir des documents sur l'immigration indienne aux Antilles-Guyane.
Portrait d'une « Coolie woman »
« Coolie woman » (Source : Manioc)

Le premier convoi d'immigrants Indiens arrivait en Martinique le 6 mai 1853. A l'inverse en Guadeloupe, il fallut attendre 1854 pour voir débarquer les premiers immigrants. En effet, peu de colons s'étaient portés acquéreurs d'engagés Indiens. Ajoutons à cela l’indécision du gouverneur de l'époque qui redoutait les incidences sur les finances de l'île et sur l'emploi des noirs libres. Ainsi, les premiers immigrants arrivèrent grâce à une aide financière supplémentaire de l’administration. 
En Guyane, il manquait également de la main-d'oeuvre au lendemain de l'abolition. Aussi le gouvernement organisa, comme aux Antilles françaises, l'immigration d'Indiens et d'Africains libres. Un premier convoi de Tamouls arriva en 1855 à Cayenne. 

Les causes du départ 

Les causes sont nombreuses : régions surpeuplées, disettes, famines, sécheresses, exode rural, montée du chômage, recherche de meilleurs salaires. Prenons l'exemple de la région de Pondichéry touchée par une sécheresse entre 1853-1871 : endettées, ruinées, sans travail et/ou poussées par la famine, toutes les castes de la société rurale (artisans, agriculteurs, tisserands...) sont tentées par cette proposition de travailler aux colonies françaises.

La réglementation de l'immigration indienne 

2 possibilités d'immigration s'offrent aux engagés Indiens :

  • L'immigration libre effectuée à titre individuel par les planteurs. Mais rares furent ces initiatives des colons. Ceux-ci préféraient une intervention des pouvoirs publics car ruinés ou en grandes difficultés après l’abolition, il préféraient compter sur l'aide financière de l'administration. 
  • L'immigration massive sous le contrôle gouvernemental, accompagnée d'une aide substantielle. 

Le Ministère de la Marine et des colonies signe avec les armateurs et les compagnies maritimes des traités prévoyant le transport des contingents indiens. Le premier fut conclu en 1852 pour le transport vers les Antilles françaises de 4000 indiens en 6 ans. L’État s'engageait à payer 250 F par adulte et 150 F pour un non-adulte. D'autres contrats suivront celui-ci en 1854, 1855, 1858 ... Le 25 avril 1855 fut créé à Pondichéry la Société d'immigration de l'Inde française pour organiser le recrutement et l'expédition des Indiens vers les colonies françaises. En 1861, un contrat est signé avec la Grande-Bretagne permettant une plus grande aire de recrutement très réglementée.

 Qui sont-ils ?

L'origine des immigrants Indiens est diverse. Jusqu'en 1861, l'essentiel de cette main-d'oeuvre provenait de l'Inde méridionale : les Tamouls, originaires de la Présidence de Madras.  De 1873 à 1875, ils étaient recrutés à Calcutta.  La majorité de cette main-d'oeuvre était issue des provinces du Sud de l'Inde : les Dravidiens. D'autres de la partie centrale de la plaine du Gange et du Bengale.

Carte de la Presqu'île de l'Inde

L'arrivée 

A son arrivée l'immigré était titulaire d'un contrat d'engagement, d'un livret et d'un passeport intérieur. Le livret était obligatoire pour tout travailleur âgé de plus de 10 ans. Ce livret servait de carte d'identité et/ou de moyen de contrôle sous peine d'amende ou de journées de travail supplémentaires. Quant au passeport, il était obligatoire pour tout adulte de plus de 16 ans sous réserve de payer l'impôt. Avant de partir vers les habitations, ils étaient mis en observation jusqu'à décision favorable de l'autorité. Et s'il n'y avait lieu d'être mis en quarantaine, les nouveaux arrivant étaient mis en isolement dans des baraques pendant 3 jours (visite du médecin, vaccination...).
Après la signature de leur contrat d'engagement, en présence d'un interprète, ils étaient répartis sur les habitations en fonction de la demande des propriétaires.
Le contrat d'engagement avait une durée de 5 ans. Au terme du contrat, il pouvait user de leur droit de rapatriement, signer un nouveau contrat de travail, s'engager comme travailleur libre ayant renoncé à son droit de rapatriement, travailler avec un permis de résidence libre sous le régime de droit commun. A noter que selon l'article 2 du décret du 13 février 1852, qu'à l'expiration du contrat d'engagement de l'immigré, son rapatriement gratuit vers l'Inde était aux frais de L’État ou de la colonie, s'il n'avait pas encouru de condamnation correctionnelle ou criminelle.

Mais quelle était leur vie quotidienne ?   

Image : « Coolie servant »

L'engagé était tenu de fournir aux immigrants Indiens nourriture, vêtements, un logement et les soins. Peu de sources le notifient. Néanmoins quelques témoignages font part d'une vie difficile : pénibilité du travail, conflit avec les gérants d'habitations.  Ils étaient envoyés sur les habitations, où des cases étaient construites à leur intention, parfois même de véritables villages étaient construits (ex: l'habitation Saint-James en Martinique). Ils travaillaient 26 jours par mois selon le contrat mais tout retard était pénalisé. Leur adaptation n'était pas facile : la barrière de la langue, le calendrier des fêtes religieuses n'était pas respecté et la cohabitation avec les créoles n'était pas toujours facile. Ainsi, on notait de nombreuses désertions d'engagés dans les plantations ce qui engendrait beaucoup de vagabondage, d'errance, de vols...

La fin de l'immigration

Les raisons de l'arrêt brutal de l'immigration indienne étaient essentiellement d'ordre économique : la crise sucrière est l'une des causes principales. En effet, à partir de 1862, la crise économique entraîne un ralentissement de la production. Les propriétaires ont de plus en plus de difficultés à payer un salaire régulier. L'industrie et le commerce sont dans la même situation. Le prix du sucre baisse sur les marchés.
En Martinique, le conseil général se prononce le 18 décembre 1884 pour stopper et non renouveler les contrats arrivés à expiration ainsi que la suppression de la prime de réengagement. Au total, 25 509 immigrants indiens sont arrivés en Martinique sur 55 convois. Tous ne furent pas rapatriés en Inde comme le prévoyait leur contrat d'engagement. 13 271 immigrants demeurèrent sur l'île.
En Guadeloupe, le conseil général proclame le 18 décembre 1884 que « le travail réglementé est aboli » et le dernier convoi d'immigrants arrive en janvier 1889.
En Guyane, l'immigration cessa officiellement en 1877.

En ligne sur Manioc 

 

« Gravure tirée de l'ouvrage de Victor Meignan : Aux Antilles »

Sur le catalogue collectif des périodiques

  • Singaravélou, Les migrations indiennes comme réseaux inter-caribéens, Annales des pays d'Amérique centrale et des Caraïbes, n° 5, 1985, p. 157-173.
  • Jack Caïlachon, Notes sur Karikal à l'époque de l'arrivée de l'Aurélie en Guadeloupe, Bulletin de la Société d'histoire de la Guadeloupe, n° 164, 01-2013, p. 77-84.
  • Juliette Smeralda-Amon, L'immigration en Martinique de 1845 à 1885, Les Cahiers d'Eghin : revue de l'Association des enseignants de géographie et d'instruction civique de la Martinique, n° 2, 05-1990, p. 3-6.
  • Juliette Smeralda-Amon, L'immigration indienne de 1845 à 1885 (suite), Les Cahiers d'Eghin : revue de l'Association des enseignants de géographie et d'instruction civique de la Martinique, n° 3, 11-1990, p. 2-7.
  • Jude Sahai, De l'immigration tamoule à la Guyane, Carbet : revue martiniquaise de sciences sociales, n° 9, 1989, p. 101-108.
  • Christian Schnakenbourg, Note sur le rapatriement des indiens de la Guadeloupe, Bulletin de la Société d'histoire de la Guadeloupe, n° 160, , p. 29-37.
  • Gilbert Krishna Ponaman, Etat sanitaire d'un convoi d'émigrants de l'Inde vers la Guadeloupe, Carbet : revue martiniquaise de sciences sociales, n° 9, 1989, p. 59-67.

 

Bonne lecture ! 

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