Jeunesse et éducation de Simon Bolivar
Bolivar et l'Emancipation des Colonies Espagnoles : des origines à 1815 fut rédigé par Jules Mancini (1875-1912), diplomate, qui intégra la Société des Américanistes suite à la rédaction de son livre. Henri Vignaud consacre quelques lignes à l'auteur dans la revue suite à son décès prématuré ; il précise que Jules Mancini était notamment chargé du service des communications à la Presse au Ministère des Affaires étrangères. L'ouvrage publié en 1912 offre non seulement de découvrir un récit du parcours de Bolivar, mais encore de voir ce que pouvait être la jeunesse de la noblesse vénézuélienne, période clef, pour comprendre les aspirations futures de celui qui fut nommé « Le Libertador ».
Bolivar, une famille fortunée
Dans ces premiers extraits du livre, on découvre l'origine et l'importance de la famille Bolivar à Caracas ; l'ouvrage donne aussi à voir l'environnement dans lequel la famille fortunée vivait.
« Le premier représentant en Amérique de la famille du Libérateur porte son prénom même. En 1587, Simon de Bolivar, seigneur de la Rementeria de la "ville" de Bolivar en Biscaye, dont les aïeux s'étaient illustrés, au onzième siècle, dans les luttes contre les évêques d'Armentia et avaient combattu avec énergie pour le maintien des libertés du peuple basque', arrivait au Vénézuéla avec le gouverneur Don Diego de Osorio y Yillégas, son parent. Les hautes aptitudes de Simon de Bolivar lui valurent, en 1590, d'être envoyé, en qualité de "Procureur et Commissaire Royal", auprès de Philippe II et d'obtenir de ce souverain la concession de mesures jugées nécessaires pour le relèvement moral et matériel de la colonie. Les premiers historiens du Vénézuéla parlent déjà avec éloge de cet ancêtre, qui ayant, à son retour, partagé avec Osorio la magistrature suprême, fonda des villes et des villages, distribua des terres, encouragea l'agriculture et le commerce autant qu'il était loisible en ces époques tragiques, Simon de Bolivar songea même à faire de Caracas […] un centre intellectuel capable de rivaliser avec ceux qui commençaient à se former dans d'autres parties plus favorisées des Indes Occidentales » p. 106
«Caracas offrait assurément aux yeux un panorama plein de fraîcheur et de grâce. La ville semblait faire partie de la campagne où les eaux limpides du Guaïre coulent à travers les gazons aux pieds des grands arbres tout vibrants de chants d'oiseaux. Elle était alors, après Mexico et Lima, la troisième en importance des capitales du Sud-Amérique et comptait une population de près de 45.000 âmes. Les familles de haut rang, comme celle des Bolivar, dont les propriétés foncières constituaient surtout la fortune, préféraient cependant à l'existence malgré tout un peu languissante de Caracas, celle plus large et seigneuriale de leurs domaines. C'étaient, le jour, de patientes surveillances à travers les cultures, en compagnie des intendants, alternant avec les chasses, les promenades à cheval ou les parties champêtres. A la tombée de la nuit, après que la cloche eût sonné l'oraciôn, commençait sous la véranda de l'imposante demeure centrale, le long défilé des esclaves venant demander au maître d'autoriser un mariage, d'accepter le parrainage d'un nouveau-né, de guérir un malade, de trancher un différend. » p. 109
La prime enfance de Simon Bolivar
Simon Bolivar perdit son père à 2 ans, puis sa mère à 9 ans. Orphelin, il fut confié successivement à différents membres de sa famille. Le livre consacre plusieurs pages à l'enfance et au caractère turbulent de Simon Bolivar. Cette description d'un enfant insoumis peut sembler éclairante sur ses actes d'adulte. Néanmoins, ce trait de caractère serait davantage le fruit d'un discours relayé par les écrivains romantiques qu'une réalité historique.
« Le petit Simon, Simoncito, comme on l'appelait alors, était fêté, choyé à l'envi par tout ce monde. [...] Ces gâteries continuelles rendirent bientôt Simoncito incorrigible. Il se montrait enthousiaste, bouillant, révolté, s'emportait facilement, sans souci des remontrances. Il n'obéissait guère qu'à Don Miguel Sanz que l'Audiencia de Santo-Domingo, dans la juridiction spéciale de laquelle se trouvait la capitale vénézuélienne, avait nommé administrateur ad litem d'un majorat légué au fils cadet de Don Juan Vicente par son parent Don José Félix Aristeguieta.
Sanz proposa à Da Concepcion de prendre pendant quelque temps l'enfant auprès de lui et la bonne dame, qui ne parvenait pas à gouverner le terrible Simoncito, y consentit volontiers. Il resta près de deux années dans la maison des Sanz ; partageant son temps entre de vagues leçons que lui donnait un capucin, le Père Andûjar et des promenades avec son tuteur aux environs de la ville. Le grave Don Miguel en profitait pour instruire son jeune pupille qui lui posait d'incessantes questions et retenait à merveille. » pp. 113-114
Une éducation donnée par Simon Rodriguez
Après ses premières années au sein de la famille, Simon Bolivar reçu son éducation dans une école publique de Caracas par le biais de son enseignant et tuteur Simon Rodriguez. Ce dernier avait obtenu du Conseil de Caracas (Cabildo) un poste d'enseignant en mai 1791 et fut aussi un temps le tuteur de l'enfant.
« Simon grandissait cependant et le moment arrivait de songer à son éducation. Bien que l'enseignement supérieur dans les collèges et les universités d'Amérique fût assez avancé à cette époque et remarquable même dans certaines capitales, l'instruction primaire était en général fort négligée partout. Les jeunes créoles apprenaient à lire dans leur famille ; un religieux le plus souvent, en leur inculquant des rudiments assez ineptes d'histoire sainte, de grammaire et parfois d'arithmétique, les préparait à rentrer au collège où ils commençaient seulement à recevoir des leçons plus utiles et mieux concertées. L'université de Caracas, la seule du reste qui existât au Vénézuéla, était à cet égard moins bien partagée que celles des autres grandes villes coloniales. Le fond de son enseignement se réduisait au latin, parce que la connaissance en était nécessaire pour l'état ecclésiastique, à la jurisprudence civile et canonique enseignée suivant des méthodes aussi creuses qu'intolérantes, à une médecine enfin, où la théorie tenait plus de place que la pratique. Aussi les parents fortunés envoyaient-ils presque toujours leurs enfants à Mexico, à Santa-Fé et surtout en Europe. Tel avait été le projet de Don Juan Vicente pour ses fils, mais la mère et surtout le grand-père de Simon, vieil aristocrate aux idées moyenâgeuses, étaient loin de partager ce dessein. Il leur répugnait aussi de se séparer d'un enfant très aimé et dès qu'ils le virent avancer en âge, ils se préoccupèrent de lui trouver un précepteur à Caracas… Un jeune caraquenais, dont la parole élégante et facile, l'érudition et surtout les théories politiques attiraient, depuis quelques semaines, l'attention…, Simon Rodriguez, venait cependant d'arriver fort à propos d'un long voyage à l'étranger, pour tirer d'embarras les parents de Bolivar. Don Miguel Sanz séduit à son tour par les qualités de ce jeune homme, donna son assentiment et Bolivar eut dès lors et pour longtemps un maître et un ami…» pp. 115-166
« Simon Rodiguez n'avait pas tardé à prendre beaucoup d'empire sur le jeune Bolivar dont on lui abandonna de plus en plus la direction exclusive. (...) Rodriguez pensa dès lors à réaliser un projet qui lui tenait depuis longtemps à cœur. C'était d'essayer la mise en pratique du système par excellence d'éducation préconisé par Rousseau. L'enfant était, ainsi que le doit Émile, « riche », « de grande famille », « orphelin », « robuste et bien portant», et Rodriguez ne réalisait-il pas lui-même l'idéal du gouverneur que souhaite Jean-Jacques ? « Jeune », « sage », « célibataire et homme de loisirs », « une âme sublime », autant de qualités ou d'attributs auxquels pouvait prétendre Simon Rodriguez, âgé alors de vingt et un ans, reconnu pour le premier professeur de la ville, époux plus que négligent à qui son extrême indépendance de goûts et de caractère permettait le commerce des plus spacieuses pensées Il s'appliqua donc à « l'étude difficile de ne rien apprendre » à son élève. Afin que celui-ci pût demeurer à « l'état de nature » et se préparer à justifier l'axiome d'après lequel « la raison du sage s'associe fréquemment à la vigueur de l'athlète», Rodriguez prolongea les séjours à la campagne et parvint du moins à développer chez Bolivar la merveilleuse aptitude aux exercices corporels qui fit de lui le marcheur infatigable, le maître écuyer, le nageur intrépide qu'aucun de ses compagnons d'armes ne pourra primer plus tard. Simon atteignit, avec sa treizième année, la « première étape » d'Émile en conformité parfaite avec les prescriptions de l'éducateur. Les courses dans la forêt, les chevauchées dans la savane, les parties au lac de Valencia l'avaient rendu adroit et fort à souhait. Cette éducation, si bien commencée, allait cependant être brusquement interrompue. On était à la fin de 1796 et de graves événements se préparaient dans la capitainerie générale… » pp. 119-120
Néanmoins, la participation de Simon Rodriguez aux activités révolutionnaires des années 1796-1797 conduisit à son arrestation, puis le poussa à l'exil en juillet 1797. « [...] c'en était fait des beaux projets à la Jean-Jacques ! Simon avait quatorze ans ». (p. 123) Quoiqu'interrompue, l'éducation de Simon Bolivar se poursuivit ultérieurement. À 14 ans, il débuta sa formation militaire, puis, deux en plus tard, il fut envoyé en Europe pour parfaire sa formation pendant plusieurs années avant de rentrer définitivement à Caracas et de se mettre à la tête d'un mouvement émancipateur. Mort en 1830 de tuberculose, en pauvreté, dans la désillusion de ses rêves d’une union des pays de l’Amérique du sud[1], Simon Bolivar est célébré aujourd’hui comme une figure emblématique de l’Amérique latine. La Bolivie, la Colombie, l’Équateur, le Pérou ont acquis leur indépendance grâce aux « armées de Bolivar » qui mirent à mal l’Empire espagnol. La Bolivie, correspondant avant 1825 à la région du Haut-Pérou, tire d’ailleurs son nom du héros vénézuélien. De même, il existe une ville au Vénézuela appelée Ciudad Bolivar. Enfin, on peut signaler le courant politique « Bolivarisme » à l'image de la République bolivarienne d’Hugo Chavez ou bien l’organisation internationale ALBA-Alliance bolivarienne pour les Amériques.
Livres anciens sur Manioc
- Mancini, Jules, Bolivar et l'Emancipation des Colonies Espagnoles : des origines à 1815, Paris : Librairie Académique D. Perrin. 1912.
Livres anciens sur Dloc
- Díaz Sánchez, Ramón, Bolívar el caraqueño. Tomo 1; Tomo II, Caracas, Bloque Dearmas, s.d.
- Petre, F. Loraine, Simon Bolivar "El libertador" , London/New York, J. Lane, 1910.
[1] Lennox Honychurch, The Caribbean People: Book Three (Walton - on Thames (Surrey): Thomas Nelson, 1985), pp. 44–45.