Les entretiens du blog Manioc n°3 : Marianne Palisse et l'anthropologie en Guyane
Marianne Palisse, vous êtes anthropologue et maître de conférences à l’Université de Guyane, pouvez-vous nous présenter brièvement votre champ de recherches et votre laboratoire de rattachement ?
Je m’intéresse à la manière dont les populations du littoral guyanais, dans toute leur diversité, produisent des relations à l’espace et aux milieux, notamment comment elles accèdent au foncier et aux ressources. J’essaie de comprendre de quelle manière elles se partagent l’espace, s’il y a des conflits d’usage, des échanges. Dans ce cadre, j’ai mené des recherches sur les pratiques et les imaginaires autour des savanes, sur l’agriculture périurbaine pratiquée par les migrants, et, ces dernières années, je travaille sur la manière dont les populations habitent les espaces proches de la mer alors que ceux-ci changent énormément - arrivée de la mangrove, érosion côtière, modification des estuaires... Comment les populations s’adaptent-elles à ces bouleversements de leur environnement ? C’est une question qui nous interpelle à l’heure où le changement climatique devient une réalité. J’ai aussi travaillé sur l’histoire de l’ethnologie en Haïti et j’ai notamment publié un article comparant les parcours de l'intellectuel guyanais Léon Gontran Damas et de l’intellectuel haïtien Jacques Roumain.
« Je m’intéresse à la manière dont les populations du littoral guyanais, dans toute leur diversité, produisent des relations à l’espace et aux milieux, notamment comment elles accèdent au foncier et aux ressources. J’essaie de comprendre de quelle manière elles se partagent l’espace, s’il y a des conflits d’usage, des échanges. »
« Je m’intéresse à la manière dont les populations du littoral guyanais, dans toute leur diversité, produisent des relations à l’espace et aux milieux, notamment comment elles accèdent au foncier et aux ressources. J’essaie de comprendre de quelle manière elles se partagent l’espace, s’il y a des conflits d’usage, des échanges. »
Je fais partie d’un laboratoire interdisciplinaire, le LEEISA, Laboratoire Écologie, Évolutions Interactions des Systèmes Amazoniens. C’est une unité mixte de service et de recherche, qui réunit le CNRS, l’Université de Guyane et l’Ifremer. Le LEEISA rassemble des chercheurs spécialistes de disciplines aussi diverses que la biologie, l’écologie, la chimie, la géomorphologie, l’économie, l’anthropologie, et j’en oublie sûrement ! L’idée est d’étudier les relations entre les hommes et les milieux sans opérer de cloisonnement artificiel entre nature et culture.
Dans Oyapock et Maroni : portraits d’estuaires amazoniens, vous évoquez la place de l’agriculture dans les parcours migratoires en Guyane. Comment expliquez-vous l’attractivité de ces espaces ruraux alors que l’immigration est de façon générale plutôt associée aux villes ?
La contradiction n’est qu’apparente car en réalité, de nombreux migrants pratiquent une agriculture urbaine ou périurbaine. Les migrants récemment arrivés sont souvent sans papiers, et par conséquent dans une grande précarité, n’ayant pas accès aux minima sociaux. Mais ils ont des savoir-faire agricoles. Ils cherchent donc à accéder à la terre pour pratiquer une agriculture qui leur permettra de vendre ou d’échanger les produits et de gagner un peu d’argent. Ils le font cependant non loin des villes, car ils ont aussi besoin des réseaux de solidarité et de l’économie informelle qui sont présents dans les quartiers où ils résident. Les nouveaux quartiers « spontanés », construits par leurs habitants, émergent souvent à partir de fronts agricoles. Puis, avec la pression foncière, les espaces agricoles disparaissent au profit de logements. C’était le cas à Cogneau-Lamirande, à Matoury, où les espaces agricoles ont énormément diminué pour laisser place à de l’habitat. On peut aussi évoquer Sablance, à Macouria, ou Bibi à Saint-Laurent du Maroni.
« Les migrants récemment arrivés sont souvent sans papiers, et par conséquent dans une grande précarité, n’ayant pas accès aux minima sociaux. Mais ils ont des savoir-faire agricoles. Ils cherchent donc à accéder à la terre pour pratiquer une agriculture qui leur permettra de vendre ou d’échanger les produits et de gagner un peu d’argent. »
« Les migrants récemment arrivés sont souvent sans papiers, et par conséquent dans une grande précarité, n’ayant pas accès aux minima sociaux. Mais ils ont des savoir-faire agricoles. Ils cherchent donc à accéder à la terre pour pratiquer une agriculture qui leur permettra de vendre ou d’échanger les produits et de gagner un peu d’argent. »
Au cours de ces dernières années, avez-vous constaté des mutations originales au sein de la société guyanaise ? Ont-elles influencé l’orientation de vos recherches ?
Ce qui est particulier en Guyane c’est ce caractère multiculturel toujours changeant, toujours en transformation. La composition de la population évolue sans cesse, et malgré quelques réactions xénophobes, cela se passe quand même plutôt de manière harmonieuse. Les populations ont une expérience de l’interculturalité et savent vivre avec les différences culturelles. Elles transmettent ce savoir aux nouveaux arrivants. Par ailleurs, ces populations vivent avec un environnement amazonien qui est certes pourvoyeur de ressources, mais qui demande aussi une grande capacité d’adaptation. Je suis persuadée que ce petit coin d’Amazonie peut être source d’inspiration dans un monde qui se créolise (pour reprendre le concept bien connu d’Edouard Glissant) et qui doit faire face à des changements rapides, sociétaux et environnementaux.
Quels usages faites-vous des documents de la bibliothèque numérique Manioc ? Contribuent-ils à l’élaboration de vos travaux de recherche et d’enseignement ?
J’essaie de comprendre l’évolution de l’utilisation de l’espace dans la durée. J’utilise pour cela les anciens récits de voyage présents sur Manioc, qui décrivent les territoires du littoral de la Guyane et les pratiques de leurs habitants.
Je me sers aussi beaucoup du fonds iconographique pour illustrer mes cours sur les Amérindiens, les Marrons et les Créoles, tout en veillant, vis-à-vis de mes étudiants, à resituer les images dans le contexte de leur production.
« J’essaie de comprendre l’évolution de l’utilisation de l’espace dans la durée. J’utilise pour cela les anciens récits de voyage présents sur Manioc, qui décrivent les territoires du littoral de la Guyane et les pratiques de leurs habitants. »
« J’essaie de comprendre l’évolution de l’utilisation de l’espace dans la durée. J’utilise pour cela les anciens récits de voyage présents sur Manioc, qui décrivent les territoires du littoral de la Guyane et les pratiques de leurs habitants. »
Quel(s) document(s) a(ont) retenu plus particulièrement votre attention durant l’élaboration de vos différents travaux ?
Difficile de répondre, j’en ai beaucoup utilisés ! Mais par exemple, je me suis servi à plusieurs reprises du Journal d’un déporté non jugé de Barbé Marbois, un homme politique déporté par la Révolution. Il décrit Sinnamary à la fin du XVIIIè siècle, et se plaint qu’on ait envoyé les déportés dans des terres hostiles, au milieux des marais. Ses descriptions me sont utiles dans le cadre de mes recherches sur la manière dont les habitants se sont adaptés à ces milieux difficiles. Il parle aussi des Amérindiens Kali’na alors présents à Sinnamary, en donne d’intéressantes descriptions. J’utilise des extraits de ses textes sur les Amérindiens avec les étudiants, pour travailler sur les préjugés de l’époque et sur la manière dont l’ethnocentrisme aveuglait les colons, qui étaient persuadés que les Amérindiens devaient changer de vie pour entrer dans une économie marchande et adopter les « bienfaits de la civilisation ».
Pour aller plus loin, nous vous proposons de visionner plusieurs interventions de Marianne Palisse :
- "Biodiversité et diversité culturelle : l'exemple des savanes de Guyane"
- "Etude des pratiques et usages sociaux des jardins créoles haïtiens dans l'agglomération de Cayenne aujourd'hui"
- "Léon Gontran Damas en Haïti : réseaux intellectuels, ethnologie et Négritude dans les Amériques noires"
- "Le master Société et Interculturalité"
- "Quand le littoral change, de Kourou à Sinnamary mémoire et vécu des habitants sur la dynamique du trait de cote en Guyane"