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Choucoune. Poème en créole

Anne Pajard
20 mars 2012
« L'Indépendance conquise à la pointe de l'épée influera sur notre créole et nous le verrons, au cours du XIXe siècle, évoluer, s'enrichir de tournures pittoresques, de vocables neufs expressifs de sentiments nouveaux plus subtils, d'états d'âme plus compliqués, être capable de porter parfois la pensée après l'image, allier à ses ondulements, à sa douceur, à sa morbidesse, à sa nonchalance, à ses câlineries, une soudaine âpreté, une éclatante verdeur, une fougueuse virulence, de chauds reflets du tropical soleil haïtien, avec, çà et là, des résonnances infinies [...]. » Louis Morpeau, à propos de la poésie haïtienne d'expression créole.
Portrait dessiné d'une femme dite mulâtresse

Texte original en créole, traduction très probablement proposée par Louis Morpeau (en italique).

 

 

CHOUCOUNE

 

Dèriè gnou gros touff' pingouin,

L'aut'jou, moin contré Choucoune ;

Li souri l'heur'li ouè moin. Moin dit : « Ciel. ! à la bell'moune » (bis)

Li dit : « Ou trouvé ça, cher ? » 

P'tits z'oézeaux ta pé coûté nous lan l'air (bis)...

 

Derrière une grosse touffe de pingouins

L'autre jour, je rencontrai Choucoune ;

Elle sourit quand elle me vit ; Je dis : « Ciel ! oh ! la belle personne ! » (bis)

Elle dit : « Vous le trouvez, cher ? »

Les petits oiseaux nous écoutaient dans l'air... (bis)

 

Quand moin songé ça, moins gangnin la peine,

Car dimpi jou-là, dé pieds moin lan chaîne ! (bis)

Choucoun', ce gnou marabout :

Z'yeux li claire com'chandelle.

Li gangnin tété doubout...

— Ah ! si Choucoun', té fidèle ! — —

Nous ré té causer longtemps,

Jusqu'z'oézeaux lan bois té paraîtr' contents !...

Pitôt blié ça, cé trop grand la peine,

Car dimpi jou-là, dé pieds moin lan chaîne ! (bis)

 

Quand je songe à cela, j'ai de la peine,

Car depuis ce jour-là, mes deux pieds sont dans les chaînes ! (bis)

Choucoune, c'est une marabout :

Ses yeux brillent comme des chandelles.

Elle a des seins droits...

— Ah ! si Choucoune avait été fidèle !

— Nous restâmes à causer longtemps,

Au point que les oiseaux dans les bois en parurent contents !...

Plutôt oublier cela, c'est une trop grande peine,

Car depuis ce jour-là, mes deux pieds sont dans les chaînes ! (bis )

 

P'tits dents Choucoun' blanch' com'laitt,

Bouch'li couleur caïmite :

Li pas gros femm', li grassett' :

Femm'com' ça plai moin tout' d'suite...

Temps passé pas temps jôdi !...

Z'oézeaux té tendé tout ça li té dit

Si yo songé ça, yo doué lan la peine,

Car dimpi jou-là, dé pieds moin lan chaîne !

N'allé la caz' manman li ; |

— Gnou grand'moun' qui bien honnête !

Sitôt li ouè moin, li dit :

« Ah ! moin content, çilà nette 1 »

 

Les petites dents de Choucoune sont blanches comme du lait :

Sa bouche est de la couleur de la caïmite (*) :

Elle n'est pas une grosse femme, elle est grassette :

Les femmes pareilles me plaisent tout de suite...

Le temps passé n'est pas le temps d'aujourd'hui !...

Les oiseaux avaient entendu tout ce qu'elle avait dit !...

S'ils songent à cela, ils doivent être dans la tristesse,

Car depuis ce jour-là, mes deux pieds sont dans les chaînes !

Nous allâmes à la case de sa maman :

— Une vieille qui est bien honnête ! Aussitôt qu'elle me vit, elle dit :

« Ah ! je suis contente de celui-là, nettement ! »

 

Nous bouè chocolat aux noix...

Est-c'tout ça fini, p'tits z'oezeaux lan bois i

— Pitôt blié ça, ce trop grand la peine,

Car dimpi jou-là, dé pieds moin lan chaîne ! (bis)

Meubl' prêt, bell' caban' bateau,

Chais'rotin, tabl' rond, dodine,

Dé matelas, gnou port' manteau, X'app', serviette, rideau mouss'line...

Quinz'jour sèl'ment té rété...

P'tits z'oézeaux lan bois, coûté moin, coûté !...

Z'autr' tout' va comprendr' si moin lan la peine,

Si dimpi jou-là, dé pieds moin lan chaîne !...

 

Nous bûmes du chocolat aux noix...

Est-ce que tout cela est fini, petits oiseaux qui êtes dans les bois ?..

— Plutôt oublier cela, c'est une trop grande peine,

Car depuis ce jour-là, mes deux pieds sont dans les chaînes !

Les meubles étaient prêts : beau lit-bateau,

Chaise de rotin, table ronde, dodine,

Deux matelas, un porte-manteau,

Des nappes, des serviettes, des rideaux de mousseline...

Il ne restait plus que quinze jours...

Petits oiseaux qui êtes dans les bois, écoutez-moi, écoutiez !...

Vous aussi vous allez comprendre si je suis dans le chagrin,

Si depuis ce jour là, mes deux pieds sont dans les chaînes !

 

Gnou p'tit blanc vini rivé :

P'tit barb' roug', bell' figur' rose,

Montr' sous côté, bell' chivé...

— Malheur moin, li qui la cause !

Li trouvé Choucoun' joli,

Li parlé francé, Choucoun' aimé-li...

Pitôt blié ça, çé trop grand la peine.

Choucoun' quitté moin, dé pieds moin lan chaîne !

Ça qui pis trist' lan tout ça,

Ça qui va surprendr' tout' moune,

Cé pou ouè malgré temps-là,

Moin aimé toujours Choucoune !

— Li va fai' gnou p'tit quatr'on...

P'tits z'oézeaux gadé ! p'tit ventr' li bien rond !...

Pé 1 fèmin bec z'autr'... cé trop grand la peine :

Dé pieds p'tit Pierr', 4é pieds li lan chaîne.

 

Voilà qu'un petit blanc arrive :

Petite barbe rouge, belle figure rose,

Montre au côté, beaux cheveux...

— Mon malheur, c'est lui qui en est la cause !

Il trouve Choucoune jolie,

Il parle français... Choucoune l'aime...

Plutôt oublier cela, c'est une trop grande peine,

Choucoune me quitte, mes deux pieds sont dans les chaînes !

Le plus triste de tout cela,

Ce qui va surprendre tout le monde,

C'est de voir que, malgré ce contre-temps là,

J'aime toujours Choucoune !

— Elle va faire un petit quarteron ! (]),

Petits oiseaux, regardez ! Son petit ventre est bien rond !

Taisez-vous ! Fermez vos becs ! C'est une trop grande peine :

Les deux pieds de petit Pierre, ses deux pieds sont dans les chaînes.

 

Oswald Durand, 1884

Ce poème est extrait de l'ouvrage de Louis Morpeau édité en 1925 : Anthologie d'un siècle de poésie haïtienne : 1817-1925 Conservée par le réseau des bibliothèques de la Ville de Pointe-à-Pitre (fonds Bogat), l'anthologie est consultable gratuitement en ligne

Pour aller plus loin :

Maximilien Laroche propose également sur le site Ile en île un dossier sur Oswald Durand http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/durand.html AP

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