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Le raisinier bord de mer et son champignon : une symbiose indéfectible au secours de la restauration écologique

Amadou M. Bâ
1 juillet 2024
Le raisinier bord de mer est un arbre pantropical très apprécié, originaire des plages des Antilles et des Amériques. L’introduction du raisinier avec son champignon associé dans différentes régions du monde, notamment au Sénégal et à Cuba, a donné des résultats inédits pour la restauration des zones côtières. 
Photographie d'un raisinier bord de mer
Raisinier sur la plage de Bois Jolan en Guadeloupe (source : Amadou M. Bâ). CC-BY-NC-ND

Introduction

Les forêts littorales sont particulièrement vulnérables à la montée des eaux, à l’érosion et à la dégradation des habitats provoquées par les changements climatiques (Farrer et al. 2022). Ces forêts représentent un réservoir de biodiversité et un habitat pour de nombreuses espèces qui s’y reproduisent (Tuxbury & Salmon 2005). Dans les Antilles, les forêts littorales sont des zones très convoitées en raison de leurs multiples intérêts économiques, touristiques et écologiques. Les pressions anthropiques exercées sur ces forêts provoquent des dégâts considérables sur la régénération naturelle en l’empêchant de se mettre en place. La surface de ces forêts ne cesse donc de régresser. Une stratégie de restauration écologique des forêts littorales consiste à utiliser des arbres adaptés aux contraintes salines des sols. Coccoloba uvifera L (Polygonaceae), communément appelé raisinier bord de mer, est un arbre emblématique des plages de la Caraïbes et de l’Amérique tropicale, qui est utilisé dans la restauration écologique (Figure 1 ; Figure 2a). Il est associé à une diversité de sporophores (partie fructifère du champignon) de champignons ectomycorhiziens en particulier Scleroderma bermudense avec lequel il forme sur ses racines un nouvel organe mixte appelé ectomycorhize. Cette structure souterraine facilite les échanges bidirectionnels entre les deux partenaires de la symbiose : le raisinier fournit des photosynthétats au champignon, tandis que ce dernier contribue à sa nutrition minérale et sa tolérance à la salinité en bordure de mer (Bandou et al. 2006 ; Bullain Galardis et al. 2022 ; Bullain Galardis et al. 2023). De plus, le raisinier résiste aux embruns marins, constituant ainsi un brise-vent contre les alizés. Ses fruits comestibles, pulpeux et pourpres à maturité, sont groupés en forme de grappe et peuvent être transformés en gelée ou en une boisson liquoreuse (Figure 2b). La reproduction du raisinier est aisée par graines, boutures ou rejets de souche. Cependant, il est confronté à une forte pression anthropique notamment pour ses fruits et son bois de chauffage en Guadeloupe.  


Le raisinier est considéré comme non invasif et introduit dans de nombreuses régions tropicales pour stabiliser les sols littoraux et pour ses fruits charnus et appétissants. Des questions se posent : (i) Quelle est la diversité des champignons associés au raisinier dans sa zone d’origine ? (ii) Quel est le scénario de co-introduction du raisinier associé à S. bermudense ? (iii) La symbiose entre le raisinier et S. bermudense permet-elle de restaurer les écosystèmes côtiers dégradés ?

Carte des Amériques
Figure 1. Aire de distribution naturelle du raisinier (zone en gris) le long des côtes des Amériques et des îles de la Caraïbes (Parrotta 2000) (source : Amadou M. Bâ). CC-BY-NC-ND
Photographie d'un raisinier et ses fruits
Figure 2. (a) Raisinier sur la plage de Bois Jolan en Guadeloupe, (b) Fruits en grappe du raisinier (source Amadou M. Bâ). CC-BY-NC-ND

Diversité des champignons associés au raisinier dans sa zone d’origine

En Guadeloupe (Petites Antilles) et à Cuba (Grandes Antilles), le raisinier est associé à une diversité de sporophores de champignons ectomycorhiziens parmi lesquels le champignon Scleroderma bermudense (Figure 3b), qui s’est révélé prédominant sur les racines du raisiner et en nombre de sporophores récoltés tant en Guadeloupe qu’à Cuba (Séne et al. 2015 ; Bullain Galardis 2023). Sous le couvert des arbres-mères, prolifèrent des plantules issues de semis et de rejets de souche (Figure 2a) dont les racines sont interconnectées grâce à ce champignon. Celui-ci joue un rôle crucial dans la régénération naturelle du raisinier en bordure de mer (Bandou et al. 2006 ; Bullain Galardis et al. 2022 ; Bullain Galardis et al. 2023).

 

Photographie de sclérotes de champignons
Figure 3. Sporophores et sclérotes de champignons récoltés sous le houppier du raisinier en Guadeloupe (a) Russula cremeolilacina, (b) Scleroderma bermudense, (c) Inocybe xerophytica, (d) Inocybe littoralis, (e) Cantharellus cinnabarinus, (f) Amanita arenicola, (g) Melanogaster sp., et (h) sclérotes de Cenococcum sp. (Séne et al. 2015). (source : Amadou M. Bâ). CC-BY-NC-ND

Un scénario inédit de co-introduction de la symbiose entre le raisinier et Scleroderma bermudense

En zones d’introduction, les racines du raisinier sont colonisées exclusivement par deux espèces de champignon du genre Scleroderma dont l’espèce S. bermudense abondante dans les Caraïbes mais inconnue ailleurs (Sène et al. 2018). Cette espèce de champignon, en forme de vesses-de-loup partiellement enfouies, libèredes spores qui s’accumulent dans le sol (Figure 4a). Les fruits, tombés au pied de l’arbre dans leur milieu d’origine, sont débarrassés de la pulpe par les rongeurs et par l’homme (Figure 4b). En séchant, les graines retiennent les spores dans leur tégument (Figure 4c). Grâce à cette transmission spontanée et inédite, le raisinier emporte dans ses graines des spores de S. bermudense dans son périple planétaire. En effet, des graines importées de Guadeloupe germent dans les pépinières du Service des Eaux et Forêts au Sénégal (Figure 5a). Cerise sur le gâteau, elles donnent des plants dont les racines sont colonisées par S. bermudense, sans que le champignon soit sciemment introduit (Figure 5b). Les spores du champignon se trouvent donc sur le tégument des graines. A la question de savoir pourquoi S. bermudense et pas les autres champignons associés au raisinier dans sa zone d’origine, on pourrait répondre que ce champignon produit beaucoup de spores et aurait ainsi plus de chance de s’incruster en grande quantité sur les téguments des fruits.

Photographie de graines de raisinier
Figure 4. (a) Sporophores de S. bermudense à différents stades de développement du champignon, (b) Graines du raisinier sans pulpe, (c) Spores de S. bermudense incrustées dans les cavités du tégument de la graine du raisinier (Séne et al. 2018). (source : Amadou M. Bâ). CC-BY-NC-ND
Photographie de raisinier
Photographie de racines du raisinier
Photographie d'ectomycorhizes blanches

 

 

 

 

 

Figure 5. (a) Raisinier en pépinière au Sénégal, (b) Racines du raisinier colonisées par Scleroderma bermudense, (c) Ectomycorhizes blanches typiques de Scleroderma bermudense (source : Amadou M. Bâ). CC-BY-NC-ND

La symbiose entre le raisinier et Scleroderma bermudense dans la restauration écologique

Au Sénégal, en collaboration avec le Service des Eaux et Forêts et l’Association des jeunes « Fonk Ligueey » de la localité de Guédiawaye, nous plantons avec succès le raisinier avec son partenaire fongique S. bermudense le long des routes côtières menacées d’ensablement (Figure 5 ; Figure 6a, b et c). Les arbres permettent de fixer les dunes sur lesquelles sont installées ces chaussées et de protéger les cuvettes maraîchères plus en amont. Le projet prévoit de border 17 km de voies dans la région de Dakar avec des raisiniers. Le raisinier est, avec le filao, un des rares arbres capables de pousser sur des sols de dunes très pauvres en nutriments, cumulant stress hydrique et salin. En effet, le raisinier n’est arrosé que par les embruns et de rares pluies d’hivernage, pendant 3 mois de l’année, et le sol y est constitué de sable salé (Sène 2016). 


A Cuba, en partenariat avec la Municipalité de Manzanillo et l’Université de Granma, nous conduisons un projet de restauration des sols dégradés par le sel le long de la côte est (Figure 7). Le projet vise à réintroduire le raisinier là où il a disparu à cause de la forte pression anthropique. Pour cela, des raisiniers sont inoculés en pépinière avec le champignon S. bermudense avant d’être transplantés sur le site à restaurer. Nos résultats montrent un effet bénéfique remarquable de l’inoculation avec S. bermudense sur la croissance et la tolérance à la salinité du raisinier après 12 mois de plantation (Bullain Galardis 2023 ; Bullain Galardis et al. 2023).

Photographie de raisiniers au Sénégal
Figure 6. (a) Raisinier co-introduit avec Scleroderma bermudense en bordure de route au Sénégal en 2018, (b) Raisinier en 2019, (c) Raisinier en 2023 (source : Amadou M. Bâ). CC-BY-NC-ND
Photographie de raisinier à Cuba
Figure 7. Raisinier inoculé avec Scleroderma bermudense (a) Raisinier non inoculé (b) 12 mois en plantation sur la côte est de Cuba (Bullain Galardis et al. 2023) (source : Amadou M. Bâ). CC-BY-NC-ND

Le succès des plantations au Sénégal et à Cuba devrait nous conduire à envisager des plantations de raisinier et son champignon dans les enclos dits de régénération mis en place par l’ONF (2020-2021) sur des plages de Guadeloupe.

Références bibliographiques

  • Bandou E, Lebailly F, Muller F, Dulormne M, Toribio A, Chabrol J, Courtecuisse R, Plenchette C, Prin Y, Duponnois R, Thiao M, Sylla S, Dreyfus B, Bâ AM (2006) The ectomycorrhizal fungus Scleroderma bermudense alleviates salt stress in seagrape (Coccoloba uvifera L.) seedlings. Mycorrhiza 16: 559-565. https://doi.org/10.1007/s00572-006-0073-6
  • Bullain Galardis MM, López Sánchez RC, Fall F, Eichler-Löbermann B, Pruneau L, Bâ AM (2022) Growth and physiological responses of ectomycorrhizal Coccoloba uvifera (L.) L. seedlings to salt stress. Journal of Arid Environment 196:104650. https://doi.org/10.1016/j.jaridenv.2021.104650
  • Bullain Galardis MM (2023) Diversité et rôle des champignons ectomycorhiziens dans l’adaptation de Coccoloba uvifera (L.) L à la salinité : application à la restauration écologique à Cuba. Thèse de doctorat en cotutelle UA/UG, 178 p.
  • Bullain Galardis MM, López Sánchez RC, Pruneau L, Eichler-Löbermann B, Fall F, Bâ AM (2023) Using the ectomycorrhizal symbiosis between Coccoloba uvifera L. (L.) and Scleroderma bermudense (Coker) to restore a degraded coastal sand dune in Cuba. Trees https://doi.org/10.1007/s00468-023-02470-w 
  • Farrer EC, Van Bael SA, Clay K, Smith MKH (2022) Plant-microbial symbioses in coastal systems: their ecological importance and role in coastal restoration. Estuaries and Coasts 45:1-18. https://doi.org/10.1007/S12237-022-01052-2
  • ONF (2020-2021). Rapport d’activités, Direction régionale de l’ONF en Guadeloupe, 73 p.
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  • Séne S, Avril R, Chaintreuil C, Geoffroy A, Ndiaye C, Diédhiou AG, Sadio O, Courtecuisse R, Sylla SN, Selosse MA, Bâ AM (2015) Ectomycorrhizal fungal communities of Coccoloba uvifera (L.) L. mature trees and seedlings in the neotropical coastal forests of Guadeloupe (Lesser Antilles). Mycorrhiza 25: 547-559. https://doi.org/10.1007/s00572-015-0633-8
  • Séne S (2016). Analyse de la diversité des symbioses ectomycorhiziennes du Coccoloba uvifera (L) L. en zones d’origine et en zones d’introduction. Thèse de doctorat UCAD, 176 p. 
  • Séne S, Selosse MA, Forget M, Lambourdière J, Cissé K, Diédhiou AG, Rivera-Ocasio E, Kodja H, Kameyama N, Nara K, Vincenot, L, Mansot JL, Weber J, Roy M, Sylla SN, Bâ AM (2018) A pantropically introduced tree is followed by specific ectomycorrhizal symbionts due to pseudo-vertical transmission. Multidisciplinary Journal of Microbial Ecology 12: 1806-1816. https://doi.org/10.1038/s41396-018-0088-y
  • Tuxbury SM, Salmon M (2005) Competitive interactions between artificial lighting and natural cues during seafinding by hatchling marine turtles. Biological Conservation 121 (2): 311-316. https://doi.org/10.1016/j.biocon.2004.04.022

 

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