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Mois des abolitions : Bissette, oublié de l'Histoire

Xavier Hug
22 mai 2018
Longtemps délaissée, reléguée dans l’ombre toute-puissante de son rival politique Victor Schoelcher, la figure d’Auguste Bissette est aujourd’hui célébrée dans la lutte abolitionniste. En ce mois de commémoration de l’abolition de l’esclavage, Manioc vous propose de revenir sur cette figure martiniquaise.
Portrait de Bissette
Cirille Charles Auguste Bissette
Portrait de Bissette
Cirille Charles Auguste Bissette

Cyrille Charles Auguste Bissette (1795-1858), métif (ce qui signifie qu’il a l’allure d’un descendant de Mulâtre et de Blanc) appartient à une famille renommée, doublement rattachée aux Mallevault, famille noble d’officiers de marine, et aux Tascher de la Pagerie, que l’on ne présente plus, mais cette position enviable masque l’absence complète de fortune personnelle. Issu de la bourgeoisie urbaine, ses écrits laissent penser qu’il a reçu une solide éducation.

Fin 1823, un opuscule anonyme circulant clandestinement en Martinique commence à agiter les représentants du pouvoir royal. L’objet, 32 pages reliés de rouge et édité à Paris, porte un titre sans ambiguïtés : De la situation des gens de couleur libres aux Antilles françaises. Ces « gens de couleur libres », s’ils pouvaient posséder des esclaves, accumuler du capital et jouir de leur liberté, restaient confinés dans une position sociale inférieure face à l’élite blanche. L’affaire aurait pu en rester là, le libelle ne soulevant aucun soubresaut en Guadeloupe et en Guyane, et ne comportait rien qui ne soit déjà connu et précédemment dénoncé. Toutefois, son style porte la dénonciation au rang littéraire dans un style très enlevé :

« La caste privilégiée persisterait-elle à conserver ses révoltantes prérogatives ? On ne devrait cependant pas oublier quelles ont été les funestes causes qui nous ont ravi la plus belle de nos colonies. Il est donc essentiel de s’occuper du sort d’une classe aussi utile que laborieuse, et qui s’accroît de jour en jour. Les gens de couleur libres demandent donc, au nom de la justice et de l’humanité, la destruction des lois exceptionnelles qui les régissent (…). Au reste, elle n’a rien qui puisse la rabaisser au-dessous de celle des flibustiers, des boucaniers, des engagés ou des hommes flétris par l’opinion, qui ont composé la primitive population blanches des colonies, et dont les orgueilleux descendants forment aujourd’hui la caste privilégiée. »

Jean-Baptiste Volny

Certains cadres blancs martiniquais croient y déceler une conspiration destinée à mettre fin à leurs privilèges et, in fine, à leur « race ». Aussi, pressé par des magistrats entreprenants, le gouverneur Donzelot fait arrêter la nuit du 22 décembre Bissette en compagnie de ces supposés complices Louis Fabien et Jean-Baptiste Volny. Tous les trois sont condamnés aux travaux forcés à perpétuité et au fer rouge (marque GAL pour galérien) « pour avoir colporté, distribué clandestinement, et lu à divers, un libelle tendant à renverser la législation établie ». À la même époque se produit en Jamaïque un événement similaire, l’affaire Lecesne et Escoffery, à laquelle le pouvoir britannique réagit de même. Les puissances coloniales cherchaient donc avant tout à étouffer les réformes progressistes.

Après un passage rapide au bagne de Brest, les trois hommes voient leur peine commuée en interdiction de séjour dans les Antilles pendant dix ans, période qu’ils mettent à profit pour faire reconnaître l’application du droit commun dans les colonies. Ainsi, de 1834 à 1842, Bissette animera à bout de bras la Revue des colonies qui fera beaucoup pour la reconnaissance de l’égalité raciale et de l’abolition de l'esclavage (dans une moindre mesure), tout en l’acculant à la faillite. Cette publication verra donc les premiers affrontements idéologiques avec Victor Schoelcher pour le leadership du mouvement abolitionniste. Si Bissette rencontre d’indéniables succès électoraux, notamment grâce à son alliance avec Pécoul, grand Blanc libéral, la méfiance – pour ne pas dire la hargne – qu’il inspire à la majorité possédante conduira à sa perte. En effet, après avoir brocardé Schoelcher, métropolitain acquis aux préjugés locaux concernant les libres de couleur selon lui, et une fois passé la liesse de mai 1848, celui que les Martiniquais renommèrent affectueusement Papa Bissette fait l’erreur de repartir pour la France en janvier 1950, laissant ainsi le champ libre au camp schoelcherien de se structurer et de s’arroger les seuls mérites de la politique post-abolition. Si le pamphlet La vérité aux ouvriers et cultivateurs de Martinique porte un coup dur à l’intégrité de Bissette, sa compromission avec le régime du Second empire, amplifiée par sa parenté, une maladie qui le ronge et une situation financière précaire, achève de le déconsidérer complètement une fois la IIIème République proclamée. En effet, Schoelcher, intransigeant avec le régime impérial, revenu d’exil, contribuera largement à discréditer son rival qui tombe alors dans un oubli quasi général.

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