A quoi sert la Guyane ?
Elle a continué avec des conflits plus ou moins sérieux, allant de l’occupation de Cayenne à des incidents épisodiques, voire folkloriques, avec le grand voisin portugais puis brésilien, et connu une série d’échecs des tentatives de colonisation. Après avoir tenté d’exploiter ses forêts et ses terres cultivables, la France a préféré tirer parti de son insalubrité (avec le bagne), puis de sa biodiversité et finalement de la rotation de la terre qui y est plus rapide qu’ailleurs, mais sans jamais réellement arriver à un bilan convaincant en dehors des activités aérospatiales à l'essor desquelles sont liées 16% du PIB guyanais et l’augmentation récente de l’immigration.
Bien que cette Amazonie française ait des atouts évidents en termes de milieux naturels, elle présente aussi des faiblesses non moins évidentes, démographiques et économiques principalement. Sa gouvernance est compliquée en raison du nombre des acteurs qui se la disputent (préfecture, région, département, centre spatial) et surtout la Guyane doit de plus en plus compter avec des forces qui l’intègrent, bon gré mal gré, au continent, que ce soit par la tension de conflits frontaliers ou par le développement de coopérations transfrontalières dont le pont sur l’Oyapock, qui attend depuis bientôt quatre ans son inauguration, est le symbole le plus visible, et le plus ambigu.
Carte n° 1 : Carte de la Guyane et du Parc amazonien de Guyane
Avec une superficie de 83 846 km2, la Guyane est à la fois le plus grand département français, la plus grande région du pays (plus de 15% de la surface de la France métropolitaine) et elle compte sa plus grande commune, Maripasoula (18 360 km2).Elle fait partie des neuf régions ultrapériphériques (RUP) de l’Union européenne. C’est le seul territoire continental de l’Union européenne en Amérique du Sud et le seul territoire d’Amérique du Sud à ne pas être un État indépendant, contrairement à ses voisins Guyana (ancienne Guyane britannique), Surinam (ancienne Guyane néerlandaise). Elle constitue le plateau des Guyanes avec eux, avec une partie du Venezuela, délimitée par le fleuve Orénoque, et avec le Nord du Brésil délimité par l'Amazone.
Une conquête laborieuse
En 1494, deux ans après le premier voyage de Christophe Colomb, Espagnols et Portugais s’étaient partagé le Nouveau Monde par le Traité de Tordesillas. Les autres nations contestèrent ce partage qui excluait notamment la France, au nom de qui François Ier en avait contesté la légitimité : « Je voudrais bien voir la clause du testament d’Adam qui m’exclut du partage du monde ». Après diverses tentatives d’implantation de têtes de pont françaises, anglaises et hollandaises sur des terres plus riches (côte du Brésil et bas Amazone notamment), toutes repoussées, les trois pays durent se contenter d’occuper chacun un fragment du plateau des Guyanes, dans un angle mort négligé par les colonisateurs ibériques, des lots de consolation bien moins rentables que les « îles à sucre » qu’ils parvinrent à conquérir aux Antilles. Même cette modeste présence fut contestée et, dans le cas de la Guyane, des conflits l’opposèrent à l’Empire portugais puis, après 1822, au Brésil indépendant.
Conflits franco-brésiliens
Jusqu’à aujourd’hui les artilleurs de la batterie Caiena du 32e groupe d’artillerie/ Groupe D. Pedro I’ont sur la manche droite de leurs uniformes traditionnels, datant de la période de l’Empire, un ruban portant le nom de la batterie, pour commémorer le fait que les troupes portugaises, sur ordre du roi João VI, avaient attaqué, conquis et occupé l’île de Cayenne2.
Quand le Portugal, lors des guerres napoléoniennes, avait été envahi par l’armée française, commandée par Jean-Andoche Junot, la famille royale s’était enfuie au Brésil, à l’époque sa principale colonie. Le 10 juin 1808, João VI déclara la guerre à la France et ordonna immédiatement l’occupation de la Guyane française. Un corps expéditionnaire de 470 soldats brésiliens l’envahit alors, avec le soutien d'une escadre de la Marine britannique. Le 14 janvier 1809, la ville de Cayenne fut attaquée, le gouverneur français se rendit, et le Portugal occupa la Guyane française jusqu’en 18173.
Figure n° 1 : La batterie Caiena
Carte n° 2 : Le contesté franco-brésilien
Il n’y eut pas d’autres épisodes violents par la suite mais la détermination de la frontière fut tumultueuse. Elle avait été en principe établie par le traité d’Utrecht (11 avril 1713) et constitue la plus ancienne frontière du Brésil, mais fut ensuite remise en question car les deux parties ne l’interprétaient pas de la même façon.
Le traité stipulait que la France renonçait aux terres situées entre « la rivière des Amazones » et « la rivière de Vincent Pinçon » et que celle-ci servirait de limite aux deux colonies. Or, les Portugais considéraient que la seconde était l’Oyapock, tandis que pour les Français c’était l’Araguary. Le territoire contesté entre la France et le Brésil était donc limité au Sud par ce fleuve, et une ligne partant de sa source pour aboutir au rio Branco ; sa superficie recouvrait environ 260 000 kilomètres carrés, plus du triple de la superficie de la Guyane française et de la moitié de celle de la France métropolitaine. Le différend fut tranché beaucoup plus tard par un arbitrage confié d’un commun accord à la Confédération helvétique qui donna gain de cause au Brésil, les conclusions de celui- ci ayant été annoncées le 1er décembre 1900 par le Président suisse, Walter Hauser :
« I – Conformément au sens précis de l’article 8 du Traité d’Utrecht, la rivière Japoc ou Vincent Pinçon est l’Oyapoc qui se jette dans l’océan, immédiatement à l’ouest du cap d’Orange et qui, par son thalweg forme la ligne frontière. II – À partir de la source principale de cette rivière Oyapoc jusqu’à la fron tière hollandaise, la ligne de partage des eaux du bassin des Amazones qui, dans cette région est constituée dans sa presque totalité par la ligne de faîte des monts Tamuc-Humac4, forme la limite intérieure ».
Bien qu’il n’y ait pas vraiment de ligne de faîte ni même de monts Tamuc-Humac, c’est donc la ligne de partage des eaux qui est devenue la frontière. À l’intérieur de ce territoire ainsi défini la colonisation avait entre-temps connu bien des difficultés.
Les échecs de la colonisation
Elle avait commencé dès 1603 avec les premières implantations françaises dans la zone de Cayenne qui furent toutes rapidement abandonnées. Les premières tentatives sérieuses datent des années 1620-1630, mobilisant quelques dizaines ou au mieux quelques centaines de colons et se soldant chaque fois par des abandons ou la destruction par les Anglais, les Hollandais voire surtout les Amérindiens, les archives montrant une certaine solidarité entre Européens même s’ils sont en concurrence. Ce n'est que dans la deuxième moitié du XVIIe siècle que les conflits se sont exacerbés dès lors que la colonisation deviendra une affaire d’État. En 1654 la colo- nie fut encore une fois détruite par les Amérindiens, mais peu après les Hollandais s’emparèrent de l’île de Cayenne qui était redevenue déserte et amenèrent avec eux les premiers esclaves noirs. En 1666 les Français s’y installent officiellement mais en 1667 les Anglais ravagent entièrement la colonie et l’abandonnent sans s’y établir ; en 1676 elle fut reprise par les Hollandais qui avaient déjà établi clandestinement de petites colonies à Approuague et à Oyapock. À la fin de cette même année 1676, la colonie fut reprise par d’Estrées, définitivement cette fois. Au total on estime que près de 2 000 colons périrent entre 1604 et 1688 dans ces tentatives.
L’expérience la plus massive de colonisation fut l’« expédition de Kourou », voulue par Choiseul, qui débuta en 1763 et avait été très mal préparée et exécutée. Elle visait à établir une vraie colonie d’agriculteurs d’origine européenne dans les savanes de l’Ouest guyanais, mais la plupart des 15 000 colons, venus pour la plupart de Rhénanie, moururent en quelques mois de dysenterie, de paludisme et de faim. Un des rares succès fut l’expérience de poldérisation de l’Est guyanais de la fin du siècle laquelle réussit et dont l’abandon fut causé par la tourmente révolutionnaire.
Pendant la Révolution, la Guyane devint pour la première fois un lieu de déportation politique pour les « déportés de fructidor » et des prêtres réfractaires. Ce fut le début d’une pratique appelée à durer. Pour pallier le manque de main-d’œuvre, développer la Guyane et surtout débarrasser la métropole d’opposants politiques républicains et de délinquants de droit commun, le Second Empire créa des bagnes. L'envoi de condamnés aux travaux forcés date d'un décret de 1851 et le premier envoi arriva aux îles du Salut en mai 1852. À la fin du XIXe siècle, la Guyane n’accueillait plus de déportés politiques, seulement des prisonniers de droit commun, même si l’on peut inclure dans cette catégorie le capitaine Alfred Dreyfus qui y fut envoyé en 1894.
Les conditions de vie effroyables au bagne ont été souvent dénoncées – la Guyane avait été surnommée la « guillotine sèche » – et la fermeture du bagne suivit, après la Seconde Guerre mondiale, la publication d’articles d’Albert Londres qui en clamait les horreurs. Le dernier convoi de bagnards fut acheminé vers la Guyane en 1938 et en 1945 l’Assemblée constituante décida de rapatrier les survivants qui le souhaitaient, ces derniers ne l’ayant été qu’au début des années 1950.
Autre événement annonciateur de futurs développements, un site aurifère avait été découvert en 1855 sur un affluent de l’Approuague. Le début du XXe siècle connut une vraie ruée vers l’or de plus 10 000 prospecteurs, en grande majorité des Antillais français et anglais très pauvres, entraînant une croissance du commerce local souvent artificielle et l’arrêt des dernières activités agricoles par manque de main-d’œuvre. Pour le meilleur et pour le pire, l’exploitation de l’or est aujourd’hui encore une des composantes majeures de l’économie de la Guyane.
Un département amazonien et ultrapériphérique
Partie intégrante de l’Amazonie, la Guyane en partage les caractéristiques naturelles et humaines : chaleur, humidité, couvert forestier, et aussi les difficultés sociales, faibles densités humaines, faibles bases économiques.
La forêt vue de la tour à flux de Paracou qui sert à mesurer absorption et émissions de CO2. La route entre Cayenne et Saint-Georges se réduit par endroits à un étroit passage qui favorise la migration des animaux… et les embuscades. (Source : Hervé Théry, 2010 (DR))
Un fragment d'Amazone
La Guyane est pour l’essentiel couverte de forêts sempervirentes, bordée de mangroves sur le littoral. Le sous-sol est constitué d’un bouclier rocheux ancien, aux sols pauvres et acides et au relief dit en « demi-oranges » parsemé d’inselbergs et entaillé par les réseaux de fleuves et rivières. Son climat est équatorial, constamment chaud (la température oscille toute l’année entre 20 et 32°) et humide (2,5 à 4 m de précipitations annuelles, 3 744 mm à Cayenne).
La forêt guyanaise est pour l’essentiel une forêt primaire à très haut niveau de biodiversité, un des hot spot les plus riches au monde parce que cette zone a toujours conservé des refuges lors des périodes sèches, elle abrite des écosystèmes uniques 5 500 espèces végétales y ont été répertoriées, dont plus d'un millier d'arbres, 700 espèces d’oiseaux, 177 espèces de mammifères, 109 espèces d’amphibiens et plus de 500 espèces de poissons dont 45 % y sont endémiques. La moitié de la biodiversité française est en Guyane : 29 % des plantes, 55 % des vertébrés supérieurs (mammifères, oiseaux, poissons) et jusqu’à 92% des insectes.
Faiblesse démographique et économique
Pour le moment la Guyane est le département le moins densément peuplé de France (3 habitants/km2), avec à peu près la population de la Corrèze pour dix fois la superficie de la Gironde (le plus grand département métropolitain) ou encore celle de la future région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes.
Elle s’accroît pourtant rapidement : en un demi-siècle sa population est passée de 28 000 à 241 922 habitants en 2012 selon l’INSEE, et suivant certaines estimations elle devrait passer à 575 000 en 2040 (et même 665 000 selon une hypothèse haute) en raison d’un fort taux de croissance naturelle et d’une immigration importante venant des pays proches (Brésil, Guyana, Haïti, Surinam).
Cette population est pour l’essentiel concentrée sur la bande côtière. Plus de la moitié des habitants résident dans l’île de Cayenne, et plus de 20 % à Cayenne même. La région du Maroni, à l’Ouest, constitue le deuxième pôle de peuplement, la ville de Kourou le troisième.
De nombreuses communautés coexistent en Guyane :
- les Amérindiens, répartis en 6 ethnies, totalisent environ 11 000 personnes, 3 500 dans l’intérieur, 6 500 sur la région côtière ;
- les Créoles, environ 35 % de la population en incluant les Antillais ;
- les Français métropolitains, environ 12 % ;
- les Noirs « marrons », descendants d’esclaves fugitifs, environ 7 000 personnes pour les Boni, auxquels il faut ajouter les autres populations Bushinengué au statut souvent incertain, soit près de 30 000 personnes ;
- les autres communautés (Chinois, Hindoustanis, Libanais, Hmong, Brésiliens, Haïtiens, Dominicains, Surinamais, Guyaniens et Péruviens) représentant près de 40 % du total.
Un grand nombre de clandestins sont attirés par le haut niveau de vie et les avantages sociaux du département français d’outre-mer (DOM), une population estimée à entre 30 000 et 50 000 personnes. L’économie de la Guyane est fortement dépendante des transferts depuis la métropole et en dehors de ceux-ci les activités productives sont très limitées.
Figure n° 3 : Attente devant la poste et marché à Cayenne
Deux types d’agriculture coexistent sur les 5 % de terres non couvertes de forêts : d’une part une agriculture familiale pratiquée par plus de 80 % des exploitants sur un tiers de la surface agricole utile, et d’autre part une agriculture à vocation marchande située sur la bande littorale, notamment par les Hmong, pour les fruits et légumes. Les difficultés d’accès au foncier sont le problème majeur des agriculteurs puisque 90 % du territoire appartiennent au domaine privé de l’État.
La forêt couvrant 95 % du territoire (plus de 8 millions d’hectares), la principale ressource naturelle de la Guyane est le bois. On y compte plus de 1 600 espèces d’arbres, dont quelques bois précieux utilisables en menuiserie. La quasi-totalité du massif forestier appartient à l’État, sa gestion étant confiée au Parc amazonien de Guyane et à l’Office national des forêts qui gère une surface totale de 2,4 millions d’hectares. Plus de 80 % de la production de sciage est absorbée par le BTP, la seconde transformation qu’est l’ameublement ne couvrant qu’une faible quantité des besoins en produits manufacturés.
L’extraction de l’or est la seconde activité exportatrice de la Guyane. Il y est exploité depuis plus de 150 ans, avec une interruption presque totale d’une quarantaine d’années. Aujourd’hui, l’or est extrait soit de manière légale par des exploitations soumises au code minier (une trentaine de sociétés, artisans et PME), soit de manière clandestine par l’orpaillage illégal. Plusieurs milliers de chercheurs d’or, venus principalement de régions défavorisées du Brésil ou du Surinam (qui sont la plupart du temps aussi des Brésiliens, même avec des commanditaires parfois surinamais) exploitent le sous-sol et s’exposent à tous les problèmes qui découlent d’un climat de violence de type Far West dont les orpailleurs eux-mêmes sont les premières victimes.
L’Office national des forêts a estimé fin 2005 que 1 333 kilomètres de cours d’eau étaient directement impactés par les chantiers miniers, principalement illégaux, et 4 671 km de fleuves et rivières touchés par les pollutions en aval de ces chantiers. La Direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (DRIRE), maintenant intégrée dans la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) évalue le butin annuel des clandestins à entre 5 et 10 tonnes d’or. Les opérations conduites contre les orpailleurs clandestins ont à peine freiné l’expansion de ces derniers, soutenue par des réseaux d’immigration clandestine, de proxénétisme, de contrebande et de vulgaire banditisme. La tendance est toutefois globalement à la baisse du nombre des chantiers, alors que l’exploitation de l’or filonien est en revanche en hausse.
L’utilisation du mercure est en principe interdite depuis le 1er janvier 2006, au profit de l’extraction mécanique fondée sur des systèmes de récupérations gravimétriques. Le procédé au cyanure est utilisé mais il laisse de volumineuses quantités de déchets très toxiques lesquels devraient être stockées en bassins derrière des digues solides, ce qui est particulièrement difficile en Guyane : même les bassins des sites légaux sont problématiques, car les opérateurs miniers ne font guère d’efforts et ne veulent investir ni dans la décontamination ni dans la reforestation.
Une autre conséquence de l’exploitation de l’or alluvionnaire est la déforestation qui résulte du remaniement des sols. Sur les sites orpaillés illégalement ils sont totalement détruits, la couche fertile superficielle étant décapée et lessivée vers les fleuves ou recouverte de déchets miniers. L’exploitation aurifère a en outre de nombreux impacts indirects : dommages collatéraux causés aux Amérindiens, dérangement de la faune, perturbation du cycle de l’eau et destruction des écosystèmes aquatiques, rejets de déchets divers, création de pistes en forêt, vols d’hélicoptères et/ou d’avions (bruit, besoin de pistes, risques liés aux carburants, à l’entretien, aux accidents, etc.).
L’économie de la Guyane pourrait être au cours des prochaines années notablement modifiée par la découverte de gisements pétroliers au large de ses côtes. D’ici là – à supposer que ces découvertes soient confirmées, les dernières évidences pour l’année 2014 n’étant pas très positives – les autorités présentes en Guyane ont sur- tout à gérer une économie assistée.
Gouvernances
Malgré sa population limitée (à peu près équivalente à celle de la ville de Bordeaux) la Guyane est organisée selon le même schéma qu’une région métropolitaine, avec ses trois niveaux de collectivités territoriales et les représentants de l’État, sous l’autorité du préfet. Ce dernier est assisté par un secrétaire général, un sous-préfet ayant autorité sur l’arrondissement de Saint-Laurent-du-Maroni, un secrétaire général pour les affaires régionales, un directeur de cabinet et des sous-préfets ayant des attributions spécifiques : un sous-préfet chargé des communes de l’intérieur, un sous-préfet délégué à la cohésion sociale et à la jeunesse.
Selon le site de la préfecture, les actions de l’État en Guyane sont les suivantes :
– Affaires régionales (Secrétariat Général pour les Affaires Régionales)
– Alimentation, agriculture, forêt (Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement)
– Aménagement, logement, énergie, environnement (Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement) – Culture, Éducation et formation (Direction des Affaires Culturelles)
– Entreprises, concurrence, consommation, emploi (Direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi)
– Finances publiques (Direction des finances publiques de la Guyane, DFiP)
– Jeunesse, sports, cohésion sociale (Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale)
– Mer, pêche (Direction de la mer)
– Protection de la population (État-major interministériel de la zone de défense et de sécurité de Guyane-EMIZ)
– Santé (Agence régionale de santé Guyane)
– Sécurité (Sécurité publique, Sécurité routière).
Mairie, préfecture et relais Europe à Cayenne, sièges et symboles de quelques niveaux de gouvernance (Source : Hervé Théry 2010 (DR))
En outre, en raison de sa situation stratégique et de la présence du Centre Spatial, la présence militaire est forte5, totalisant 2 200 hommes, les principales unités étant le 3e régiment étranger d’infanterie (3e REI) de Kourou (Légion étrangère) et le 9e régiment d’infanterie de marine (9e RIMa) de Cayenne. Elles sont complétées par des détachements d’autres corps d’armée, un peloton de l’armée de l’air stationné à la base aérienne 367 de l’aéroport Félix Eboué, un peloton de la Marine nationale sur la base navale de Dégrad des Cannes et un détachement de la Brigade de sapeurs- pompiers de Paris à Kourou qui assure la protection des personnes et des biens du Centre Spatial guyanais.
Pour répondre à une revendication guyanaise, le gouvernement s’était engagé en 2013 à créer une université de plein exercice en Guyane6, en détachant le pôle universitaire guyanais, jusqu’alors partie intégrante de l’université des Antilles et de la Guyane, de cette dernière (et ce à l’heure où l’on oblige les universités métropolitaines à se regrouper) ; celle-ci a été créée officiellement le 1er janvier 2015. Son projet de développement doit être soumis au ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur le 15 octobre 2015 par le géographe Richard Laganier, président de l’Université de Guyane (UG). Ce projet devra « faire écho aux besoins du territoire » : il proposera les grandes orientations de l’université, sa carte de formation ainsi que les filières à mettre en place, et vise à « un équilibre entre sciences dures et sciences humaines ». 27 postes d’enseignants-chercheurs vont être mis au concours dès cette année, destinés à pallier les départs d’enseignants qui ont fait valoir leur droit d’option pour intégrer l’université des Antilles.
Par ailleurs, comme la Réunion, la Guadeloupe et la Martinique, la Guyane est devenue un DOM en 1946, mais elle est en outre depuis 1983 à la fois une région et un département : au niveau régional, la Guyane élit un conseil régional ; au niveau départemental elle est découpée en 19 cantons qui élisent chacun un conseiller général pour former le conseil général de la Guyane. Il est prévu à la suite de l’approbation guyanaise par un référendum tenu le 24 janvier 2010 de fusionner le conseil régional et le conseil général en une assemblée unique ou « collectivité unique » (le vote ayant lieu en décembre 2015). À l’échelle municipale on compte 22 communes ; certaines comme Maripasoula et Camopi ont des superficies supérieures à bien des départements métropolitains, mais des populations très faibles (158 habitants à Saül, 129 à Ouanary).
Figure n° 5 : Monument en mémoire de l’esclavage à Cayenne
Au-delà des classiques querelles de compétence, les rivalités entre ces niveaux de gouvernance sont fortes. Les « créoles » (Français autochtones, en général descendants métissés des colons français et de leurs esclaves africains), soit la communauté la plus nombreuse (même si le poids relatif de ce groupe ne cesse de s’effondrer), représentaient 75 % de la population dans les années 1970 ; ils ne sont plus désormais que la plus nombreuse de la collection des minorités qui forment la Guyane. Ils ont acquis le pouvoir politique de manière presque exclusive alors que le pouvoir administratif, militaire et technique reste largement entre les mains des « métros » (Français de métropole, en séjour plus ou moins long sur le territoire), bien que des cadres guyanais et surtout antillais soient très présents dans certaines administrations (Culture, Agriculture, Impôts, Éducation nationale, Santé). Les relations entre les uns et les autres sont souvent tendues, les Créoles entretenant des relations très ambiguës d’amour et de haine avec la métropole dont ils attendent beaucoup – notamment sur le plan financier, étant donné que de leur point de vue ces demandes sont justifiées en tant que réparation du préjudice subi par leurs ancêtres du temps de l’esclavage – tout en ressentant assez mal leur dépendance à son égard. Un bon exemple de cette relation s’illustre dans le fait que le Parc qui occupe tout le Sud du département s’appelle « Parc amazonien de Guyane » et non « Parc National » comme ses homologues métropolitains, pour ne froisser aucune susceptibilité7. Ces tensions ne vont pas jusqu’à revendiquer l’indépendance de la Guyane (les mouvements qui la réclament restant très minoritaires) puisque les Guyanais ont confirmé à de multiples reprises, à chaque consultation électorale depuis 1946, leur volonté de demeurer français.
Un facteur important de ces tensions – et des transferts financiers vers la Guyane – est l’enjeu des retombées du Centre Spatial de Kourou qui est aujourd’hui sans doute la principale raison d’être du maintien de la présence française.
Le centre spatial
Consécutivement à l’indépendance de l’Algérie, le Centre National d’Études Spatiales (CNES) a dû quitter la base de lancement de Hammaguir. Quatorze sites ont alors été étudiés, dans des départements d’Outre-mer ou des pays étrangers comme le Brésil ou l’Australie. Tous ces sites avaient en commun d’être situés près de l’Équateur qui offre des conditions optimales pour les lancements : l’effet de fronde produit par la rotation terrestre permet d’obtenir 15 % de gain de performance supplémentaire par rapport à des bases de lancement situées plus au nord, comme Cap Kennedy.
Le rapport du CNES recommandait la Guyane qui offre plusieurs avantages comme la faible densité de population et une large ouverture sur l’océan Atlantique qui permet de réduire les risques en cas de problème sur le lanceur. Le site permet également d’effectuer des lancements de satellites sur orbite polaire dans des conditions optimales, tous les azimuts de lancement entre -10,5° (orbites polaires ou héliosynchrones) et +93,5° (orbites géostationnaires) étant possibles. En outre, la zone n’est pas sujette aux tremblements de terre et aux cyclones et la Guyane, en tant que partie intégrante du territoire français, présentait également l’avantage de la stabilité politique. Le Premier ministre de l’époque, Georges Pompidou, suivit ces recommandations et le 14 avril 1964 il signa un arrêté ministériel établissant le Centre Spatial guyanais (CSG) à Kourou, entériné en conseil des ministres par le général de Gaulle.
En septembre 1965 débutèrent les premiers aménagements, soit un port et un pont à Kourou, ainsi que l’allongement de la piste de l’aéroport de Cayenne, mais également la construction d’installations inexistantes du fait de la faible population de la Guyane et de Kourou en particulier (660 personnes à l’époque).
Le CSG inaugura son premier lancement le 9 avril 1968 avec la fusée Véronique. Quand l’Agence spatiale européenne (ESA) fut créée en 1973, la France proposa de partager Kourou avec elle. L’ESA finance les deux tiers du budget annuel de la base de Kourou et a également payé sa modernisation à l’occasion de la mise au point de la série des lanceurs Ariane. Le premier lancement de celle-ci eut lieu le 24 décembre 1979 et a compté 222 tirs jusqu’en décembre 2014. Ariane est depuis le milieu des années 1980 leader mondial sur le marché des satellites commerciaux avec une part de marché située entre 50 et 65 % ; ce succès technique et commercial devrait se poursuivre avec la fusée Ariane V ECA qui permet de placer en orbite des satellites de 10 tonnes. En outre, dans le cadre d’un accord de coopération russo-européen, l’Agence spatiale européenne utilise des lanceurs Soyouz pour ses propres tirs (lancements pour son propre compte et afin de mettre en orbite des charges payantes). L’agence spatiale russe Roskosmos effectue également des lancements depuis Kourou et peut ainsi bénéficier de conditions plus propices aux tirs de satellite géostationnaires que depuis le cosmodrome de Baïkonour. Le premier lancement d’un Soyouz a été effectué en 2011.
Enfin, dans le cadre d’un programme de l’ESA, la famille des lanceurs commerciaux d’Arianespace s’est accrue d’un lanceur léger Vega : haute d’environ trente mètres, cette fusée permet de placer sur orbite basse des satellites de moins de deux tonnes. Il utilise l’ancien ensemble de lancement d’Ariane 1. Vega vient ainsi en complément d’Ariane 5, destiné à la mise en orbite des gros satellites géostationnaires, et de Soyouz, adapté au lancement de satellites de taille moyenne à destination de l’orbite basse et à celle de petits satellites géostationnaires.
Vers une intégration au continent ?
Intégrée à l’espace mondial des satellites, la Guyane est par ailleurs – pour reprendre le titre d’un article de Stéphane Granger « un territoire européen et caraïbe en voie de "sud-américanisation” »8, et ce principalement à travers les relations qui se développent avec le Brésil, plus subies que vraiment voulues au-delà d’un discours politique de façade de la part des politiques guyanais. Celles-ci achoppent pourtant sur un obstacle, la présence illégale d’orpailleurs brésiliens, les garimpeiros, et trouvent dans la construction du pont international sur l’Oyapock un symbole ambigu de complexité.
Le problème des Garimpeiros
L’orpaillage est un vecteur d’insécurité et d’immigration clandestine en provenance du Brésil, malgré les actions engagées par l’État pour endiguer le phénomène. Depuis 2008, une opération d’envergure est menée sous le nom d’opération Harpie, aujourd’hui rebaptisée Anaconda, et elle commence à porter ses fruits. Des opéra- tions militaires visent les sites clandestins, avec destructions systématiques de tout le matériel trouvé sur place et des contrôles sont effectués sur les routes et les fleuves. Les orpailleurs illégaux, bénéficiant souvent de la téléphonie moderne et du GPS et/ ou contrôlés par des réseaux mafieux et armés, se sont faits plus mobiles et discrets depuis les années 1990 et sont plus difficiles à repérer, l’exploitation en puits permet- tant des défrichements plus limités et moins visibles.
La crise a pris un tour aigu en juin 2012 lorsque deux militaires français sont morts et que deux gendarmes ont été blessés par balles du fait de bandits exploitant les garimpeiros dans la région de Dorlin, soit une zone isolée. Les soldats tués avaient été victimes d’une embuscade près de l’endroit où, un peu plus tôt, un hélicoptère de la gendarmerie avait essuyé des tirs, alors qu’ils participaient à une opération devant permettre l’installation progressive d’une société minière légale. Ils faisaient partie du 9e RIMa qui participe au dispositif mis en place en 2008 pour tenter d’éradiquer l’orpaillage clandestin lequel associe parquet, gendarmerie, armée, police aux frontières, douanes et Office national des forêts. S’ajoutant à la mauvaise humeur liée au choix par l’Armée de l’Air brésilienne de chasseurs suédois préférés au Rafale, cette situation a évidemment pesé sur les relations transfrontalières qui n’ont que récemment repris leur cours normal.
Le pont international sur l'Oyapock
Le Brésil et la France partagent plus de 700 kilomètres de frontière, dont plus de 400 le long du fleuve Oyapock. C’est sur ce fleuve qu’un pont a été construit, à la suite d’une décision qui relève plus de la géopolitique que d’une logique économique, voire du « fait des princes » ou d’un « caprice diplomatique », l’opération ayant été menée sans la moindre analyse de fond ou une réelle étude d’impact, voire de prospective économique. Mais alors qu’il est achevé depuis 2011, il n’a toujours été ni ouvert à la circulation ni inauguré, et ce retard tend à transformer ce geste – coûteux – de bon voisinage en son contraire, un symbole des malentendus entre les deux pays. Le contentieux tient principalement à la présence d’orpailleurs brésiliens en Guyane qu’il faudra bien surmonter pour que le symbole reprenne la signification que ses promoteurs voulaient lui conférer.
Figure n° 8 : Route Macapá-Cayenne et pont sur l’Oyapock
(Source : Hervé Théry, 2011 (DR))
La genèse de ce pont a été longue. Lors de sa rencontre à Saint-Georges de l’Oyapock, le 25 novembre 1997, avec le président brésilien Fernando Henrique Cardoso, Jacques Chirac avait déclaré : « J’ai dit au Président Cardoso que (…) les choses étaient bien parties et que l’an 2000 ne serait pas franchi sans que l’on puisse aller du Venezuela à Buenos Aires par la route »9.
En réalité la décision n’a été confirmée par le comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire que le 18 décembre 2003, et l’accord franco-brésilien « relatif à la construction d’un pont sur le fleuve Oyapock et de la liaison routière reliant la Guyane et l’État de l’Amapá » n’a été signé que le 15 juillet 2005 à l’occasion de la visite du président Luiz Inácio Lula da Silva en France, accord ensuite ratifié par le Brésil en 2006 et par la France le 18 janvier 200710.
L’appel d’offres relatif à la construction du pont a été ensuite été lancé fin novembre 2008. La commission intergouvernementale réunie à Paris le 29 avril 2009 a retenu le moins disant, le groupement brésilien Egesa/CMT, pour la construction du pont sur l’Oyapock, le contrat entre le DNIT (Département National des Infrastructures Terrestres) et l’entreprise étant signé le 29 juin 2009. L’ordre de démarrage des travaux a été donné le 13 juillet 2009, mais consécutivement à la découverte de vestiges archéologiques des travaux de fouilles ont été nécessaires, ralentissant les travaux des fondations de l’ouvrage.
Ensuite la construction s’est poursuivie sans incidents notables, entièrement me- née par l’entreprise brésilienne, la France ayant fait, de son côté, d’énormes travaux pour la voie d’accès au pont et provisoirement cédé une parcelle de sa souveraineté pour que tout le chantier soit situé en territoire brésilien et que s’y applique la législation de ce pays, notamment en matière de droit du travail. Le samedi 28 mai 2011 la jonction entre les deux tronçons du tablier, avançant à partir des deux rives, était effectuée et en septembre le pont était terminé, y compris la peinture de signalisation des deux voies de circulation. Belle réussite technique bien que, selon son chef des travaux brésilien, cela ait été « un tout petit travail, par rapport aux énormes ponts construits ailleurs au Brésil », ce pont à haubans de 378 m de longueur comporte deux voies de 3,50 m de largeur et deux voies mixtes séparées pour piétons et cyclistes.
Le tirant d’air minimal sous le tablier est de 15 m, pour ne pas gêner la navigation, et les deux pylônes culminent à 83 m de hauteur. Pourquoi un pont aussi grandiose alors que l’on n’attend qu’un trafic très limité, environ 200 véhicules par jour, qui aurait très probablement pu être absorbé sans difficultés – à un coût infiniment moindre – par des bacs modernisés ? Cela ne peut s’expliquer que dans une perspective géopolitique régionale de liaison entre le Brésil et ses voisins du Nord. Ceux-ci se sont longtemps méfiés de son expansionnisme et la France s’était abstenue de construire la liaison routière de 80 km entre Régina (déjà reliée à Cayenne) et Saint-Georges-de-l’Oyapock. Ce n’est que plusieurs années après la fin de la dictature militaire au Brésil (1964-1985) que les travaux furent entrepris et n’ont été achevés qu’en 2003.
Les Guyanes dans l’« Arc Nord » des visées géopolitiques brésiliennes, entre Amazone et Caraïbe. (Source : <www.diploweb.com/France-Bresil-un-pont-geopolitique.html>)
Avec leur conclusion, l’axe RN1/RN2 assure désormais la liaison sur 450 kilomètres entre Saint-Laurent-du-Maroni, à la frontière du Surinam, et Saint- Georges-de-l’Oyapock à la frontière brésilienne. Avec la construction du pont, la route côtière constitue désormais le maillon d’une « panaméricaine atlantique », doublant celle qui parcourt le continent, sur le versant Pacifique, de la Terre de Feu à l’isthme de Panama. Il faut toutefois noter que le Brésil n’avait pas attendu pour se doter d’une autre sortie vers les Caraïbes, la route BR174 Manaus-Caracas permettant déjà la liai- son Venezuela-Buenos Aires, que Jacques Chirac imaginait passant par la Guyane.
Un piroguier brésilien au cours de la traversée Saint-Georges-de l’Oyapock – Oiapoque, derrière lui le pont qui devrait le remplacer. Salon de beauté franco-brésilien à Oiapoque, un peu avant Noël. (Source : Hervé Théry, 2011 (DR))
Mais cette route guyanaise n’est pas pour autant inutile pour le Brésil, car elle s’inscrit dans ses projets d’aménagement à l’échelle continentale sous le nom d’« Arc Nord » lequel doit un jour rejoindre la BR174 à l’ouest, depuis Georgetown. Cet axe guyanais n’est pas continu et reste un obstacle de taille à franchir entre Macapá et Belém, la vallée de l’Amazone. On peut se faire une idée des distances en question si l’on se rappelle que l’île de Marajó qui en occupe l’embouchure a sensiblement la taille – 40 000 km2 – des Pays Bas…
Plus de trois ans après la fin des travaux, le pont n’a donc pas été livré à la circulation. Pourquoi ce retard ? Une partie de l’explication est d’ordre technique, une autre politique. La première est que manquaient du côté brésilien les voies d’accès entre Oiapoue et le pont d’une part, et les bâtiments des douaniers et policiers de l’autre. Ce n’était certes pas faute de compétence puisque ce sont des firmes brésiliennes qui ont construit le pont et les routes d’accès depuis Macapá (dont une partie reste à asphalter, ce qui rend le parcours encore bien lent au cœur de la saison des pluies), mais un problème de crédits. Ces obstacles ont été levés et l’Agence nationale des transports terrestres (ANTT) a permis le trafic international sur le pont le lundi 31 mars 2014, après une inspection de la douane provisoire où travailleront la police fédérale, les services fiscaux fédéraux et de l’Amapá, l’Institut brésilien de l’Environnement (Ibama) et l’Anvisa (services sanitaires). Des progrès ont été réalisés et les accords de transport signés en 2014, la carte de circulation transfrontalière ayant été mise en service au premier janvier 2015, mais on ne peut espérer l’ouverture à la circulation, dans le meilleur des cas, avant la fin de l’année 2015.
Sans attendre cette échéance problématique, la coopération est toutefois déjà bien engagée entre chercheurs français et brésiliens pour des recherches sur les effets de l’ouverture des routes Cayenne-Saint-Georges- de-l’Oyapock et Amapá-Oiapoque, en attendant celle du pont. Du côté brésilien, l’Université fédérale de l’Amapá (Unifap) a créé l’Observatoire des frontières (Obfron), partenaire de l’Observatoire Hommes-Milieux (OHM) Oyapock fondé côté français par le CNRS en 200811. Les travaux sont déjà largement engagés, comme l’indique Damien Davy qui travaille depuis l’origine à l’OHM et en est aujourd’hui le directeur : « Depuis 2008, nous avons entamé une série d’études de part et d’autre de la frontière afin de comprendre les dynamiques socio-économiques, identitaires et culturelles, environnementales et migratoires de cette contrée ». L’OHM va donc permettre de suivre les effets – positifs et négatifs – de la construction du pont et des routes qui lui sont associées, à plusieurs échelles. On pourra ainsi se faire une idée des conséquences locales, régionales et continentales du geste géopolitique qui se concrétise aujourd’hui avec la conclusion de ce pont.
De même, les collaborations sont engagées dans le domaine de la conservation de la biodiversité amazonienne entre le Parc amazonien de Guyane et son homologue brésilien, le Parc national des montagnes Tumuc-Humac. Le premier a été créé le 27 février 2007, par décret ministériel, sa superficie étant de 3,4 millions d’hectares (34 000 km2, la superficie de la Belgique) ; il est constitué d’une zone de cœur de 2 millions d’hectares et d’une zone de libre adhésion de 1,4 millions d’hectares. Ses missions majeures sont 1) de préserver et de valoriser la prodigieuse biodiversité qu’il abrite, 2) de préserver et de valoriser les cultures (amérindiennes, bushinengué et créoles) des populations vivant sur le territoire et 3) d’accompagner les communautés dans un développement durable, local, adapté et ce dans le respect des modes de vie. Le Parque Nacional Montanhas do Tumucumaque se présente avec une superficie de 38 464 km2 (celle des Pays-Bas avec leurs territoires antillais, Curaçao, Aruba et Sint Maarten) comme le plus grand parc national au Brésil et le plus grand en forêts tropicales du monde ; il a été créé par un décret du président Fernando Henrique Cardoso dans les derniers mois de son mandat, le 22 août 2002.
(Source : <fr.academic.ru/pictures/frwiki/70/French_Guyana_SVG.png> et <desencyclopedie.wikia.com/ wiki/Guyane_(France)l>)
En guise de conclusion, on peut mettre en regard deux blasons de la Guyane, l’officiel et une de ses versions parodiques, car on sait que ces images servent principalement à symboliser des identités territoriales, en transmettant la vision que leurs auteurs et commanditaires veulent donner du territoire représenté.
Sur le blason officiel les fleurs de lys sur champ d’azur sont celles des armoiries du royaume de France, une façon claire de revendiquer l’appartenance de la Guyane à ce pays. L’année 1643 est celle de la fondation de la ville par Charles Poncet de Brétigny, lieutenant-général du roi Louis XIII. Le canot amérindien symbolise la navigation sur les rivières et l’océan Atlantique, et l’or la principale richesse de la Guyane quand Paul Merwart composa cet écusson. Le rouge est celui de la couleur de la terre, la latérite qui recèle bien des richesses minières. Le vert celui de la forêt recouvre la Guyane, des savanes et des pripris (marécages) sur lesquels flottent les nénuphars. Les soutiens sont deux tamanoirs, animaux emblématiques du territoire, d’une espèce pacifique apparemment dépourvue de défenses mais en réalité armée de puissantes griffes qui lui permettent de faire face à ses ennemis. La couronne de murailles représente la ville de Cayenne, les deux palmiers rappelant sa place des Palmistes. La devise proposée par l’ancien gouverneur Emile Merwart – sans intention ironique notoire – Fert aurum industria (le travail procure la richesse).
Par contraste avec le premier, le second blason, parodique12, insiste plutôt sur les « désagréments » de la Guyane : « Écartelé, aux premier et quatrième de sinople respectivement au moustique d’or et à la pirogue chargée d’or voguant sur une rivière de mercure avec deux piranhas de gueules crevés ; aux second et troisième d’azur à la fusée Ariane explosant en vol ; des chaînes de bagnard et un képi de légionnaire brochant sur le tout ». Il est tiré de l’article « Guyane (France) » de la Désencyclopédie, qui commence ainsi : « La Guyane est le nom d’un département français imaginaire » ; pour détailler l’histoire de ce qui est, selon cette source, un canular lancé en mai 1912 et qui perdure : « Au XXIe siècle, la « Guyane » est devenue une légende urbaine ».
Chacun choisira celui qui lui paraît le mieux répondre à la question initiale, mais il paraît clair que tous deux contiennent des éléments de réponse13.
Notes
1- Directeur de recherches au CNRS, Creda UMR7227 CNRS-Université Sorbonne nouvelle, <hthery@aol.com>
2- <www.gsi.gov.br/cerimonial/principais_tropas/bateria/bateria_caiena>.
3- <infantaria-binfa.blogspot.com.br/2008/02/bateria-histrica-caiena.html>.
4- Sic. Aujourd’hui appelés monts Tumuc Humac.
5- <www.defense.gouv.fr/ema/forces-prepositionnees/guyane/dossier/les-forces-armees-en-guyane>.
6- Sa situation est similaire à celle de l’Université de Corse qui est aussi implantée dans un territoire à faible population (314 500 habitants au 1er janvier 2011 selon l’INSEE).
7- <www.parcsnationaux.fr/Decouvrir-Visiter-Partager/Les-dix-parcs-nationaux-francais>, son appellation officielle étant « Parc Amazonien de Guyane, parc national ».
8- Cf. Stéphane Granger, « Guyane française, un territoire européen et caraïbe en voie de “sud-américanisation” », 2008, <confins.revues.org/5003>
9- Allocutions de MM. Jacques Chirac, président de la République, et Fernando Henrique Cardoso, président de la République fédérative du Brésil, sur la coopération régionale entre le Brésil et la Guyane française, Saint-Georges-de- l’Oyapock le 25 novembre 1997, <discours.vie-publique.fr/notices/977016769.html>.
10- Décret n° 2007-1518 du 22 octobre 2007 portant publication de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil relatif à la construction d’un pont routier sur le fleuve Oyapock, <www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000794015&dateTexte>.
11- OHM Oyapock, <www2.cnrs.fr/sites/communique/fichier/fiche_photos_oyapock.pdf>.
12- <desencyclopedie.wikia.com/wiki/Guyane_(France)>.
13- Merci à Damien Davy, directeur de l’OHM Oyapock et à Pierre et Françoise Grenand, spécialistes reconnus de la Guyane – et pas seulement de ses Amérindiens – pour leur relecture attentive de ce texte
Bibliographie
- Monique Blérald-Ndagano, Comprendre la Guyane d’aujourd’hui : Un département français dans la région des Guyanes, Ibis rouge éditions, 2007.
- Madeleine Boudoux d’Hautefeuille, « Politiques publiques de développement à la frontière franco-brésilienne : une ignorance mutuelle » et « La frontière franco- brésilienne (Guyane/Amapá), un modèle hybride entre mise en marge et mise en interface », <confins.revues.org/8262> et <confins.revues.org/8259>.
- Shirley Compard, « De Diamant à Ariane 5 : des sables d’Hammaguir à la forêt guyanaise », Revue aérospatiale, numéro hors-série 20 ans, 1990.
- Damien Davy, Geoffroy Filoche, Atlas cartographique des Zones de droits d’usage collectifs en Guyane, UMR 220 IRD – GRED, Atelier cartographique/ONF Guyane, CNRS – OHM- ONF, 2014>.
- Henri Coudreau, Chez nos Indiens, quatre années dans la Guyane française (1887- 1891), Paris, Hachette, 1893, 614 p. <www.manioc.org/patrimon/HASH5ae- b14e8a6b3af58889a8e>.
- Federico Ferretti, « Ici commence le Brésil ! Géohistoire d’une frontière compliquée », compte rendu de Carlo Romani, Aquí começa o Brasil! Histórias das gentes e dos poderes na fronteira do Oiapoque, Rio de Janeiro, Editora Multifo- co,2013, Echogeo <echogeo.revues.org/13763>.
- Stéphane Granger, « Guyane française, un territoire européen et caraïbe en voie de “sud-américanisation” », 2008,<confins.revues.org/5003>.
- Stéphane Granger, La Guyane et le Brésil, ou la quête d’intégration continentale d’un département français d’Amérique, 2012, Université Paris III-Sorbonne nouvelle. <tel.archives-ouvertes.fr/tel-00707041>.
- Françoise Grenand, introduction au dossier Oyapock, « Enjeux de territoires sur une frontière méconnue. Entre la France et le Brésil : le fleuve Oyapock », <confins.revues.org/7961>.
- Emmanuel Lézy (éd.), Guyane-Guyanes, une géographie sauvage de l’Orénoque à l’Amazone, Lézy, Éditions Belin, 2000
- Serge Mam-Lam-Fouck (éd.), Histoire de la Guyane contemporaine (1940-1982). Les mutations économiques, sociales et politiques, Paris, Éditions caribéennes, 1992.
- Angelica May, Guyane française, l’or de la honte : enquête sur l’activité aurifère, 2007, <www.editions-calmann-levy.com/livre/titre-249109-Guyane-francaise-l-or-de-la-honte.html>.