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Xavier Tanc, Adolphe Juston : des magistrats engagés contre l'esclavage

Carolyn Pancaldi
17 mai 2016
A l'occasion du mois des abolitions, le Blog Manioc vous propose un focus spécial sur des personnes qui se sont engagés à dénoncer l'esclavage et ses abus. Parmi eux se trouvent plusieurs magistrats. En effet, en février 1829, de nouveaux magistrats arrivent dans les colonies de Guadeloupe et Martinique pour appliquer la réforme judiciaire des colonies en vigueur depuis les ordonnances royales de septembre 1828. Ceux-ci se heurteront à la méfiance, la jalousie des colons, d'un système judiciaire colonial fermé, le tout dans un contexte colonial tendu.
Châtiments affligés aux esclaves
« Châtiments affligés aux esclaves » (Source : Manioc)

Xavier Tanc

Originaire des Hautes-Halpes Xavier Tanc est né le 17 septembre 1800 à Remollon. A l'âge de 27 ans, il s'inscrit au barreau de Paris. A 30 ans, le jeune Tanc débarque en Guadeloupe comme juge de paix à Capesterre. En 1831, un congé lui sera accordé et il ne reviendra plus jamais sur l'île. C'est en Ardèche où il a obtenu un poste de substitut du procureur qu'il écrit son ouvrage. En effet, durant son mandant de trois ans sur l'île, il retranscrit ses observations et ses réflexions sur le caractère inhumain du régime de l'esclavage, et la façon dont il faudrait réformer l'organisation coloniale et abolir l'esclavage.
Ainsi parait en 1832 son ouvrage : De l'esclavage aux colonies françaises, et spécialement à la Guadeloupe dans lequel il fait part de la Traite négrière, des esclaves qui composent les habitations, la composition d'une habitation, les lois et règlements qui établissent l'autorité des maîtres, de l'abus d'autorité des maîtres et les sévisses subis par les esclaves.


« Juge de paix à la Guadeloupe pendant près de trois ans, je ne raconte que ce que j'ai vu ou appris de source certaine, en parcourant moi-même les habitations. J'arrive sur cette terre de douleurs pour dire tous leurs maux à la France qui les oublie. Témoin oculaire, je viens déposer dans ce grand procès de l'humanité contre l'esclavage » (p. 10). 

 

Divers chapitres seront repris dans la Revue des Colonies dirigée par Bissette et le Cabinet de lecture. Face à son impuissance devant les châtiments affligés aux esclaves, Xavier Tanc jura de défendre les opprimés face à la tyrannie des esclavagistes. Mais également d'informer aux plus grands nombres des réalités coloniales.

 

« [...] je jurai de ne point borner ma compassion à des larmes stériles, mais de venir élever une voix courageuse contre la tyrannie [...]. Qui refusera de m'écouter avec bienveillance  et de s'attendrir en faveur de cette classe d'infortunés, qu'une insatiable cupidité va ravir sur le sol africain, pour les transporter dans les colonies, et les y assujettir aux plus rudes travaux et à toutes les souffrances morales et physiques » (p.10).

 

En 1834, Xavier Tanc est destitué pour « des opinions trop avancées et pour l'opposition qu'il fit au candidat ministériel ». Il s'inscrit alors comme avocat au barreau de Paris. A cette même époque, il devra se défendre face aux accusations de personnes le traitant de mauvais républicain. Pour cela, il demande l'aide de Victor Schœlcher qui était alors sous-secrétaire d'état à la Marine. Celui-ci ne lui était plus très favorable en raison de son rapprochement avec Bissette. Tanc se défendit donc seul, et obtient sa nomination comme procureur de la République au tribunal de Saint-Pierre en Martinique le 2 avril 1848, avec la lourde mission de rétablir l'ordre dans une ville agitée par les haines raciales. Nommé conseiller auprès de la cour d'appel de Fort-de-France, ses rapports avec le procureur général se dégradent et est remplacé en juin 1850. En février 1852, il est nommé en Guyane où il restera jusqu'en 1853, encore jugé indésirable à cause de nouvelles querelles politiques. Par la suite, nous n'avons plus d'informations le concernant.

https://issuu.com/scduag/docs/esclavagea?utm_medium=referral&utm_source=blog.manioc.org

Adolphe Juston

Adolphe Juston est né à Rennes le 24 Mars 1804. Le 5 octobre 1828, il est nommé juge auditeur à Saint-Pierre, puis substitut du procureur du roi au tribunal de première instance de Saint-Pierre (20 mai 1830). Le 29 mars 1831, il est nommé conseiller auditeur à la Guadeloupe et juge auditeur au tribunal de première instance à Basse-Terre. 
Accusé de révolutionnaire, receleur, menteur, d'abus de pouvoir etc.,  Adolphe Juston exprima ses griefs au Ministre de la Marine et des colonies à l'égard de l'administration judiciaire coloniale par l’intermédiaire d'une lettre intitulée : « Lettre d'un magistrat de la Guadeloupe, pour rendre compte de sa conduite » (1832). Des passages sur les châtiments infligés aux esclaves sont mentionnés par Juston, par exemple : 

 

« Un nègre, après avoir reçu deux cents coups de fouet, en punition de je ne sais quelle faute assez légère, fut abandonné pendant vingt heures sur la plage. Quand on le releva, il avait les parties génitales rongées par les crabes... Une négresse fut enfermée pendant trois jours dans un cachot dont on avait muré l'entrée. Le troisième jour, on entendit des soupirs étouffés : l'infortunée périssait au milieu des convulsions et des vomissements de sang. » (p.19)

 

Il rentre à Paris rendre compte de sa conduite devant une commission. Celle-ci estima qu'il n'y avait pas eu d'excès de pouvoir de la part du gouverneur et que les faits reprochés ne justifiait pas une révocation. Elle suggéra qu'on l'envoie dans une autre colonie. Toutefois on ne lui pardonnera pas la publication de sa lettre. A la fin de sa lettre, Juston annonçait qu'il était en mesure divulguer des fautes commises dans la colonie. Un mémoire relate plusieurs faits d'inégalités mettant en accusation le procureur général Bernard dans des affaires d'affranchissements et de traite. A la suite de cette publication, Juston préféra envoyer sa lettre de démission. Il meurt en 1858.

https://issuu.com/scduag/docs/pap11160?utm_medium=referral&utm_source=blog.manioc.org

Xavier Tanc et Adolphe Juston ne sont que 2 exemples de magistrats qui ont voulu combattre un système judiciaire colonial corrompu pendant l'esclavage et après l'abolition. D'autres hommes comme Auger, Hardouin-Chérest, Justin Joyau ou Lemeneur ont tentés d'exercer une justice la plus juste possible

Ouvrages numérisés

 

Sur le catalogue collectif des périodiques Caraïbe-Amazonie :

  • Daniel-Edouard Marie-Sainte, Les annales criminelles de la Guadeloupe de 1829 à 1848, cour d'assises et cour criminelle, Bulletin de la Société d'histoire de la Guadeloupe, n° 123, 01-01-2000, p. 3-52.
  • Caroline Oudin-Bastide, Pouvoir du maître et pouvoir judiciaire : opposition, collusion et confusion (Guadeloupe, Martinique, XVIIème - XIXème siècles), Recherches Haïtiano-antillaises, n° 4, 2006, p. 77-101.
  • Max Chartol, La Guadeloupe au milieu du XIXe siècle. Problèmes économiques et sociaux, Bulletin de la Société d'histoire de la Guadeloupe, n° 19 à 20, 01-01-1973, p. 7-117.
  • Josette Fallope, Résistance d'esclaves et ajustement au système. Le cas de la Guadeloupe dans la première moitié du XIXe siècle, Bulletin de la Société d'histoire de la Guadeloupe, n° 67 à 68, 01-01-1986, p. 31-52.

 

Bonne lecture sur www.manioc.org !

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